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et réelles, soit chose condamnable ou impossible. Nous avons vu cette alliance réalisée par M. Henri Martin et l’on pourrait citer vingt chefs-d’œuvre sans sortir du Louvre, tels que le Concert champêtre, les Noces de Cana, le Débarquement à Marseille, la Liberté sur la barricade, dans lesquels cet accord est produit, par l’exaltation générale du style et du coloris, d’une façon si naturelle, qu’il faut quelque réflexion pour se rappeler qu’on a devant soi l’interprétation poétique d’une scène familière ou historique. Dans toutes ces compositions, il n’est point un morceau qui sente la copie immédiate et directe de la réalité ; toutes les parties en sont également transposées, en tons majeurs, par la même force d’imagination. Ce qui blesse, je crois bien, dans la toile de M. Roll, consciencieux reproducteur des choses, c’est précisément un accent trop réel, trop scrupuleux, qui çà et là, dans certains morceaux, reporte notre pensée à l’atelier et au modèle alors que nous devrions être simplement séduits par l’entrain, par la richesse, par la joie de l’exécution. Ces dames déshabillées, en leurs contorsions risquées parmi des broussailles inquiétantes pour le satin de leur peau, ont l’air quelque peu embarrassé de leur rôle, comme aussi ces honnêtes virtuoses qu’un caprice d’artiste a fait asseoir, dans le fourré, à quelques pas d’elles, pour exciter leurs ardeurs. Les unes sont trop hardiment nues, les autres trop correctement couverts ; leur association n’est point préparée. Une fois cette petite surprise des yeux surmontée, il est juste de reconnaître que M. Roll n’a jamais brossé une grande toile avec une telle aisance dans l’arrangement général des figures, avec une entente à la fois si soutenue et si délicate de l’harmonie et de l’équilibre décoratifs. Il y a des recherches et des trouvailles délicieuses de fraîcheurs vives ou furtives, d’accords brillans ou de mystérieuses demi-teintes, soit dans les nudités, soit dans les étoiles, non moins que dans les verdures et dans les fleurs. Le groupe même des musiciens, ce groupe trop réel, est d’un caractère très juste et très saisissant. M. Roll est de ceux à qui l’on pardonnera toujours beaucoup, parce qu’il est un de ceux qui, dans la crise actuelle, ont gardé, avec le plus de conviction, l’amour de la franche nature et de la vie saine, en même temps que celui de la bonne peinture.

Pas plus que M. Roll, moins que lui encore, MM. Lhermitte et Priant ne sont des hommes d’imagination. Les excellentes études d’après nature qu’ils nous donnent depuis longtemps l’un et l’autre : M. Lhermitte, avec une intelligence plus simple et plus large des types rustiques, M. Friant, avec une analyse plus variée et plus fine des types populaires et bourgeois, les ont placés au meilleur rang, parmi les artistes d’observation. Chargés