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sacerdotal à l’Eglise. Il se sentait calme et heureux : il avait la conscience d’être au port. Il n’en était pas de même de son amie, qui continuait à se consumer dans la mélancolie. Lacordaire l’en reprend avec une infinie douceur. Il voudrait lui redonner le goût de la vie. Il cherche à l’y rattacher par quelque occupation à laquelle elle pourrait se consacrer et par l’idée du bien qu’elle pourrait faire aux autres. Sa propre vie qui, depuis sa sortie du séminaire, a passé par tant de traverses, lui sert d’exemple pour la réconforter, et il ajoute : « Une femme, je le sais, n’est pas un prêtre; mais outre que nous sommes tous prêtres dans un sens large, la femme a été douée par Dieu d’une influence extrêmement puissante, surtout dans la société chrétienne. Je ne crois pas qu’une femme chrétienne puisse sous ce rapport adresser le moindre reproche à sa destinée. »

Cette période d’abattement ne devait avoir également qu’un temps chez Mme de La Tour du Pin. Peu à peu, la vigueur de la race dont elle était issue reprenait le dessus en elle, et au travers des lettres que lui adresse Lacordaire, nous la voyons revenir à sa véritable nature, qui était fortement trempée. La confiance qu’il lui témoigne est très grande. Rarement une détermination est à prendre dans sa vie sans qu’il la consulte à l’avance. Le mérite est d’autant plus grand de sa part que Mme de La Tour du Pin paraît avoir été d’un esprit un peu chagrin et contredisant. Dans la vie de Lacordaire, elle joue un rôle assez inattendu : celui de censeur. Souvent elle le morigène ; elle prend le contre-pied de ses desseins. Elle ne croit pas au succès de ses entreprises; elle lui en fait apercevoir les difficultés. Elle raille son optimisme inextinguible. Loin de prendre ces contradictions en mauvaise part, Lacordaire l’y encourage et l’en remercie : « Vous êtes, lui dit-il, du petit nombre d’amis que je serais bien aise d’entendre dire du mal de moi, même quand ils ont tort. » Et dans une autre lettre : « Croyez-moi tout à vous, malgré tout, c’est dire malgré vos éternelles défiances au sujet de tout ce qui m’arrive. Si j’étais un homme sujet par caractère à m’abattre, vous me renverseriez comme une pauvre petite fleur; heureusement, sans être un chêne et quoique d’une nature timide, je trouve dans un coin de mon cœur un peu de fermeté. Bien m’en prend quand vous me faites la guerre, et soyez sûre, du reste, que je ne vous en veux pas. »

Une seule fois, cependant, Lacordaire se plaint, mais c’est parce que Mme de La Tour du Pin, au lieu de le juger sur ce qu’il a dit ou écrit, s’en rapporte aux propos qu’elle entend tenir sur son compte et lui prête des opinions qui ne sont pas les siennes. Les légitimistes ne pouvaient pardonner à Lacordaire l’attitude qu’il