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— Pendant ces quelques jours, as-tu été très heureuse ? Réponds.

Il avait la voix émue et insinuante.

Elle répondit :

— Heureuse comme jamais !

George, sentant dans cette réponse une sincérité profonde, lui serra les mains avec force et reprit :

— Te serait-il possible de continuer ta vie ordinaire ?

Elle répondit :

— Je n’en sais rien ; je ne regarde pas devant moi. Tu sais que tout est perdu.

Elle baissa les yeux. George la saisit dans ses bras, passionnément.

— Tu m’aimes, n’est-ce pas ? Je suis l’unique but de ton existence ; dans ton avenir, tu ne vois que moi…

Avec un sourire imprévu qui releva ses longs cils, elle dit :

— Oui, tu le sais bien.

Il ajouta encore, à voix basse, le visage penché jusque sur son sein :

— Tu connais mon mal.

Elle semblait avoir deviné la pensée de son amant. Comme en confidence, d’une voix chuchotante qui semblait rétrécir le cercle où ils respiraient et palpitaient ensemble, elle demanda :

— Que puis-je faire pour te guérir ?

Ils se turent, enlacés. Mais, dans le silence, leurs deux âmes examinaient et décidaient la même chose.

— Viens avec moi, s’écria George. Allons dans un pays inconnu ; restons-y tout le printemps, tout l’été, tant que nous pourrons… Et tu me guériras.

Elle répondit sans la moindre hésitation :

— Je suis prête. Je t’appartiens.

Ils se détachèrent l’un de l’autre, consolés. L’heure du départ était venue ; ils bouclèrent la dernière valise. Hippolyte ramassa toutes ses fleurs, déjà fanées dans les verres : les violettes de la villa Cesarini, les cyclamens, les anémones et les pervenches du parc Chigi, les roses simples de Castel-Gandolfo, une branche d’amandier cueillie dans le voisinage des Bains de Diane, en revenant de l’Emissaire. Ces fleurs auraient pu raconter toutes leurs idylles. — Oh ! la course folle dans le parc, en dévalant par une pente raide, sur les feuilles sèches où les pieds s’enfonçaient jusqu’à la cheville ! Elle criait et riait, piquée aux jambes par les orties vertes à travers le bas fin ; et alors, devant elle, George abattait à coups de canne les tiges piquantes, qu’elle foulait ensuite sans