vigueur de ces femmes semble avoir coulé, avec leur sang, dans les veines de la comtesse Eudoxie. Son père, chevalier de Saint-Louis, était mort en 1822. D’opinions royalistes très exaltées, elle s’était, après la révolution de 1830, retirée avec sa mère à Versailles, dans cette vieille ville, pleine de souvenirs monarchiques, où l’exiguïté de leur fortune leur faisait préférer, sans doute, la dignité d’un vieil hôtel un peu délabré au confortable bourgeois d’un appartement parisien.
Quelle fut l’occasion de ses premières relations avec Lacordaire qui remontent à 1834, je n’ai jamais pu le découvrir, car il y avait loin, de la fière demoiselle légitimiste, au collaborateur de Lamennais dans l’entreprise toute récente de l’Avenir. Mais souvent la vie met ainsi en contact deux âmes différentes qui se prennent par où elles devraient se séparer, et qu’un attrait mutuel du cœur réunit par-dessus les divergences de l’esprit. Au moment où s’ouvre la correspondance, c’est-à-dire en 1837, Lacordaire était en relations avec Mme de La Tour du Pin depuis trois ans. Après avoir occupé, pendant deux ans, avec éclat, la chaire de Notre-Dame, il venait d’en descendre et de partir pour Rome, découragé par les attaques incessantes dont, malgré ses succès, il ne cessait d’être l’objet dans le monde religieux. Il vivait à Rome, assez triste et solitaire. Mme de La Tour du Pin, de son côté, venait de perdre une mère tendrement chérie, et Lacordaire la savait dans un grand état d’abattement, incertaine elle-même de ce qu’elle allait devenir. Aussi les premières lettres qu’il lui adresse se ressentent-elles de leur disposition commune: « Hélas! quand nous reverrons-nous? lui écrit-il. Quand nous promènerons-nous sous les ombrages de Versailles? Quand nous retrouverons-nous sous les voûtes de Notre-Dame? Dieu unit les hommes et les disperse. Il frappe les cœurs qui s’étaient rencontrés; il ne nous laisse que la mémoire des temps qui ne sont plus, et ces larmes involontaires au souvenir des amis. Prions-le de nous permettre de nous revoir sur la terre. Je vous renouvelle tous mes sentimens tristes et dévoués, et l’hommage d’un cœur qui, vous ayant une fois connue, emportera partout votre souvenir. »
Mais, après ces premiers momens donnés à la mélancolie, l’énergie de la nature recouvrait ses droits chez Lacordaire. Il y avait de l’indomptable en lui, et ni les difficultés avec lesquelles il se trouvait souvent aux prises, ni les malveillances qu’il rencontrait sur sa route ne parvenaient à l’abattre. Et puis, il avait trouvé un asile à Saint-Louis des Français, où il s’occupait d’un travail de longue haleine qui remplissait suffisamment ses journées et lui donnait la satisfaction d’apporter sa part de travail