Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glaces le paysage monotone qui fuyait dans une brume teintée de violet.

Hippolyte dit :

— Pose la tête sur mes genoux, ici, et couche-toi.

Il posa la tête, se coucha.

Elle dit :

— Le vent t’a ébouriffé les moustaches.

Et, du bout des doigts, elle releva quelques poils légers qui retombaient sur la bouche. Il lui baisa le bout des doigts. Elle lui passa la main dans les cheveux et dit :

— Toi aussi, tu as les cils très longs.

Pour admirer les cils, elle lui ferma les yeux. Ensuite elle lui caressa le front et les tempes ; elle se fit encore baiser les doigts l’un après l’autre, la tête penchée au-dessus de lui. Et, d’en bas, George voyait sa bouche s’ouvrir avec une lenteur infinie, voyait s’épanouir le calice neigeux de ses dents. Elle refermait la bouche, puis la rouvrait encore avec lenteur, d’un mouvement presque insensible, comme une fleur à deux pétales ; et une blancheur perlée apparaissait au fond du calice.

Ce jeu délicieux leur donnait une langueur ; ils oubliaient, ils étaient heureux. Le roulement monotone du train les berçait. Ils échangèrent tout bas des mots d’adoration.

Elle dit, avec un sourire :

— C’est le premier voyage que nous faisons ensemble ; c’est la première fois que nous sommes seuls dans un wagon.

Elle se complaisait à répéter que ce qu’ils faisaient était une chose nouvelle.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et, une fois encore, elle eut la vision de l’hôtel silencieux, de la chambre aux meubles démodés, du grand lit caché sous une moustiquaire blanche. Pour distraire l’aimé, elle dit :

— En cette saison, il n’y aura presque personne à Albano. Comme nous serons bien, tout seuls, dans l’hôtel désert ! On nous prendra pour deux jeunes mariés.

Elle s’enveloppa dans son manteau avec un frisson, s’appuya contre l’épaule de George.

— Il fait froid aujourd’hui, n’est-ce pas ? En arrivant, nous allumerons vite un grand feu et nous prendrons une tasse de thé.

Ce fut pour eux un plaisir troublant d’imaginer l’ivresse prochaine. Ils se parlaient à voix basse, se communiquant l’ardeur de leur sang, échangeant de brûlantes promesses. Ensuite, il leur parut à tous deux qu’un voile s’écartait de leurs yeux, qu’un