Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Veux-tu que nous sortions ? Il ne pleut plus.

Ils sortirent et se promenèrent sur le trottoir humide, que faisait reluire un soleil amorti. L’air froid leur donna un saisissement. Aux alentours, les petites collines ondulées verdoyaient, sillonnées de stries lumineuses ; çà et là, de larges flaques d’eau reflétaient l’image pâle d’un ciel dont l’azur profond se dilatait entre les nuages floconneux. Le petit arbre, dégouttant d’eau, s’éclairait par momens d’une lueur.

— Ce petit arbre restera dans notre souvenir, dit Hippolyte en s’arrêtant pour le contempler. Il est si seul, si seul !

La cloche annonça l’approche du train. Il était quatre heures un quart. Un homme de service s’offrit pour aller prendre les billets. George demanda :

— Quand serons-nous à Albano ?

— Vers sept heures.

— Il fera nuit, dit Hippolyte.

Comme elle avait un peu froid, elle prit le bras de George ; et elle eut plaisir à penser qu’ils arriveraient dans un hôtel inconnu, par cette soirée fraîche, et qu’ils dîneraient seuls ensemble devant un feu flambant.

George s’aperçut qu’elle tremblait et lui demanda :

— Veux-tu rentrer ?

Elle répondit :

— Non. Tu vois bien qu’il fait du soleil : je me réchaufferai.

Un indicible besoin d’intimité l’avait prise. Elle se serra contre lui, devint subitement caressante, eut des séductions dans la voix, dans le regard, dans le contact, dans les gestes, dans tout son être. Elle voulait répandre sur l’aimé les plus féminins de ses charmes ; elle voulait l’enivrer ; elle voulait l’éblouir d’un éclat de bonheur présent capable d’éclipser le reflet du bonheur passé ; elle voulait lui paraître plus aimable, plus adorable, plus désirable qu’autrefois. Une peur l’assaillit, atroce : qu’il pût regretter la femme de jadis, soupirer après les douceurs abolies, croire qu’alors seulement il avait atteint le comble de l’ivresse. Elle pensait : « Ses ressouvenirs m’ont mis tant de mélancolie dans l’âme ! J’ai eu peine à retenir mes pleurs. Et lui aussi, peut-être, il est triste intérieurement. Comme le passé pèse sur l’amour ! » Elle pensait : « Peut-être est-il fatigué de moi ? Peut-être ignore-t-il cette fatigue, et ne se l’avoue-t-il point à lui-même, et se fait-il illusion ? Mais il est peut-être incapable, maintenant, de trouver en moi aucun bonheur ; si je lui suis chère encore, c’est peut-être seulement parce qu’il rencontre en moi un motif pour ses chères tristesses. Hélas ! moi aussi, à ses côtés, je ne goûte que de rares