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— Quel homme heureux ! fit-il encore, sur le même ton ambigu. Et maintenant, au revoir. Mille remerciemens !

Il tendit la main ; mais George laissa la sienne sous la couverture. Le bavard se dirigea vers la porte.

— Ton cognac est exquis : j’en prends encore un petit verre.

Il but et s’en alla. George, dans son lit, put savourer le poison à loisir.


III

Le second anniversaire tombait le 2 avril.

— Cette fois, dit Hippolyte, nous le célébrerons hors de Rome. Il faut passer une grande semaine d’amour, tout seuls, n’importe où, mais ailleurs qu’ici.

George demanda :

— Te rappelles-tu notre premier anniversaire, celui de l’an passé ?

— Oui, je me rappelle…

— C’était un dimanche, le dimanche de Pâques…

— Et je suis venue chez toi dans la matinée, à dix heures…

— Et tu avais cette petite jaquette anglaise qui me plaisait tant ! Tu avais apporté ton livre de messe…

— Oh ! ce matin-là, je n’ai pas été à la messe…

— Tu étais si pressée…

— Mon départ de la maison avait été presque une fuite. Tu sais, les jours de fête, je ne m’appartiens pas une seconde. Et pourtant, j’avais trouvé le moyen de rester avec toi jusqu’à midi. Et nous avions du monde à déjeuner, ce matin-là !

— Puis, de toute la journée, nous n’avons pas pu nous revoir. Ce fut un triste anniversaire…

— C’est vrai !

— Et ce soleil !

— Et cette forêt de fleurs dans ta chambre !…

— Moi aussi, je m’étais échappé un moment, ce matin-là ; j’avais acheté toute la place d’Espagne…

— Tu me jetais des poignées de feuilles de roses ; tu m’avais mis une quantité de feuilles dans le cou, dans les manches… Tu te rappelles ?

— Je me rappelle.

— Et puis, à la maison, en me déshabillant, j’ai tout retrouvé…

Elle sourit.

— Et, à mon retour, mon mari découvrit une de ces feuilles sur mon chapeau, dans le pli d’une dentelle !