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Paris. « 18 fructidor, voilà ton heureux résultat ! » s’écriait un officieux du Directoire. La joie déborda partout. Les couloirs du Conseil des Cinq-Cents se remplirent d’une foule enthousiaste. Le messager d’Etat qui apportait la lettre des Directeurs fut accueilli par les cris de : Vive la République ! Jean Debry acclama la paix d’Italie, et proféra l’anathème contre les Anglais. Ce fut un triomphe pour Bonaparte. Les Directeurs réfléchirent au péril qu’il y aurait pour eux à le faire revenir immédiatement à Paris. Ils cherchèrent un détour et, avant qu’il présidât aux préparatifs de la descente en Angleterre, ils l’invitèrent à se rendre sans délai à Rastadt, pour y compléter Campo-Formio par la conclusion de la paix avec l’Empire. Talleyrand joignit ce billet à la dépêche officielle : « Voilà donc la paix faite et une paix à la Bonaparte… Le Directoire est content, le public enchanté. Tout est au mieux. On aura peut-être quelques criailleries d’Italiens, mais cela est égal. Adieu, général pacificateur ! Adieu : amitié, admiration, respect, reconnaissance, on ne sait où s’arrêter dans cette énumération. » Les Directeurs continuaient d’ouvrir l’avenue et de dresser la route à Bonaparte ; mais ils devaient rester sur les bas-côtés, la pelle et le râteau à la main, le regardant passer. Talleyrand s’accommodait pour prendre place dans le cortège.

Illuminations, cantates, ovations dans les théâtres, Paris déploya toute sa mise en scène triomphale. Les Parisiens se voyaient débarrassés de l’Autriche ; la Belgique était définitivement acquise ; personne ne doutait que la rive gauche du Rhin ne fût bientôt cédée par l’Empire, grâce à la Prusse, sur laquelle on comptait, grâce surtout à Bonaparte par qui, dès lors, tout paraissait facile. Il n’y avait plus qu’un obstacle au bonheur du monde et au couronnement de la Révolution : l’Angleterre, éternelle rivale, éternelle ennemie, ouvrière infatigable de ruines, de complots, de guerres civiles et de coalitions. La joie se doubla d’une explosion de fureur, et les imaginations qui, depuis 1789, nourrissaient le même rêve de paradis terrestre, toujours déçu, toujours ajourné, s’acharnèrent contre ce dernier obstacle, comme elles s’étaient successivement acharnées contre la cour, contre la Gironde, contre Robespierre, contre les émigrés, contre la maison d’Autriche.

Le 1er novembre, le Directoire reçut solennellement les envoyés de Bonaparte. Talleyrand les présenta, avec un panégyrique du général. Monge et Berthier se répandirent en dithyrambes. « La gloire de l’armée d’Italie, s’écria Monge, retentit jusqu’au fond de la Haute-Egypte. Les Arabes du désert s’en entretiennent le soir sous leurs tentes. Une lueur de je ne sais quelle espérance s’est glissée dans l’âme des anciens Grecs. » Larevellière,