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des Conseils, « tout aussi malintentionnée que l’avaient été les Clichyens. » Ils n’auraient obtenu ni hommes ni argent[1].

Reubell et Merlin demeurèrent jusqu’à la fin récalcitrans. Barras, Larevellière et François formèrent une majorité en faveur de la ratification. Tous s’accordèrent pour donner à Bonaparte un avertissement. Ils crurent habile de le prendre au mot et de l’envelopper dans son propre filet. « Concentrons, disait-il lui-même, toute notre activité du côté de la marine et de l’Angleterre. Cela fait, l’Europe est à nos pieds. » Telle avait été sa principale raison d’Etat pour traiter avec l’Autriche : à lui de se justifier et de mettre l’Europe aux pieds du Directoire, en envahissant l’Angleterre et en écrivant ainsi le dernier chapitre du fameux dessein de 1793, celui pour lequel tout l’ouvrage était conçu et sans lequel le reste de l’ouvrage serait vain. Cette guerre-là d’ailleurs serait populaire, et par cette guerre-là la paix continentale serait indéfiniment remise en question. Le roué Barras proposa cette combinaison. Larevellière la soutint. Les autres la goûtèrent moins, s’expliquant mal ce moyen trop subtil de paralyser un rival, en lui livrant toutes les destinées de la République. Séance tenante, les Directeurs prirent cet arrêté, daté du 5 brumaire (20 octobre) : « Il se rassemblera, sans délai, sur les côtes de l’Océan, une armée qui prendra le nom d’armée d’Angleterre. Le citoyen général Bonaparte est nommé général en chef de cette armée. » Cela fait, ils ratifièrent les articles secrets de Campo-Formio, préparèrent la communication aux Conseils des articles patens et rédigèrent une proclamation aux Français :

« Vous apprendrez avec plaisir que plusieurs millions d’hommes sont rendus à la liberté et que la nation française est la bienfaitrice des peuples… La paix du continent sera bientôt assise sur des bases inébranlables. Il ne nous reste plus qu’à punir de sa perfidie le cabinet de Londres, qui aveugle encore les cours, au point d’en faire les esclaves de sa tyrannie maritime. C’est à Londres qu’on fabrique les malheurs de l’Europe ; c’est là qu’il faut les terminer… Gardez-vous bien de déposer les armes… Sans doute, le Directoire vient de signer pour vous une paix glorieuse ; mais, pour jouir de ses douceurs, il faut achever votre ouvrage ; assurer l’exécution des articles conclus entre la France et l’empereur, décider promptement ceux à conclure avec l’Empire, couronner enfin vos exploits par une invasion dans l’île où vos aïeux portèrent l’esclavage sous Guillaume le Conquérant, et y reporter, au contraire, le génie de la liberté… »

Dès le matin du 26, la nouvelle de la paix se répandit dans

  1. Mémoires de Larevellière-Lépeaux, t. II, p. 271 et suiv. — Conversations recueillies par Sandoz. Dailleu, I, p. 155 et suiv. Rapports du 28 octobre 1797.