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Cedant armatogæ pour le maintien des républiques ! » Le désaveu était formel et l’ironie lourde. Les Directeurs en eurent-ils le sentiment ? Barras l’eut à coup sûr et il chargea Bottot de corriger à la fois et d’adoucir les nuances de la missive officielle. Bottot tailla sa plus officieuse plume et écrivit, le 22 octobre, à Bonaparte : « Les derniers momens de mon séjour à Passeriano avaient profondément affligé mon cœur. De cruelles idées m’ont accompagné jusqu’aux portes du Directoire ; mais qu’elles se sont dissipées bien agréablement lorsque je l’ai retrouvé tel que je l’avais peint, plein de tendresse pour votre personne !… Que la cruelle lettre dont vous m’aviez chargé contrastait avec ces doux épanchemens de l’amitié !… Peut-être le Directoire ne voit-il pas toujours aussi juste que vous dans les affaires ; mais avec quelle docilité républicaine il a reçu vos observations !… Les cœurs sont purs et sans tache… ils ont besoin d’instruction : c’est de vous qu’ils l’attendent. » Une telle lettre, suivant, à vingt-quatre heures près, des injonctions aussi péremptoires, révélait des trésors de palinodie. L’événement montra bientôt jusqu’où pouvait aller la docilité républicaine des Directeurs.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre, Monge et Berthier arrivèrent au Luxembourg. Larevellière-Lépeaux, alors président du Directoire, les reçut aussitôt. Ils lui remirent le traité et la lettre de Bonaparte du 18 octobre. L’une et l’autre, le traité surtout, « excitèrent grandement le mécontentement » de Larevellière, et il le marqua. Monge et Berthier défendirent le traité et s’employèrent en excuses pour Bonaparte ». Larevellière fit prévenir ses collègues qui s’assemblèrent immédiatement. La séance dura près de quatre heures. Les Directeurs s’accordèrent pour blâmer les avantages faits à l’Autriche, et qui dépassaient leur ultimatum. Larevellière déclara le traité « non seulement impolitique, mais odieux », à cause du démembrement de Venise. « J’aurais voulu cent fois le rejeter, si les circonstances l’eussent permis, a dit Reubell ; mais il fallait chicaner à éternité ou se battre jusqu’à extinction. » Chicaner était son génie, mais se battre à extinction n’était pas dans les goûts des Français qui aspiraient à la tranquillité et à la fin de la Révolution : ils ne se résoudraient point à continuer la guerre pour le seul intérêt de l’Italie et la gloire d’unir Venise à la République cisalpine après l’avoir démocratisée. En cas de désastre, les Directeurs eussent encouru une écrasante responsabilité. Ils ne voulaient point l’assumer. Leur principal objet étant de garder le pouvoir et la nation réclamant la paix, ils devaient, bon gré mal gré, paraître s’y prêter. « Si le Directoire eût refusé sa ratification, rapporte Larevellière, il était perdu dans l’opinion » ; il se serait brouillé avec la nouvelle majorité