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IV

Le Directoire attendait avec une impatience extrême les courriers d’Italie. Les Directeurs ne se faisaient point d’illusion sur la capacité d’Augereau et sur les effets d’une campagne d’hiver dirigée par lui en Allemagne. La Prusse se dérobait toujours aux avances. Frédéric-Guillaume s’était assuré des compensations pour le cas où la France garderait toute la rive gauche du Rhin ; mais il préférait évidemment conserver ses possessions rhénanes, et voir les Français évacuer l’Empire. Il trouvait que la République faisait trop de conquêtes, qu’elle affectait trop ouvertement la dictature et que ses principes devenaient trop contagieux. « Sa façon d’agir envers ceux qu’elle a mis dans sa dépendance, écrivit ce roi, le 2 octobre, à son envoyé à Paris, n’est assurément pas encourageante pour des liaisons telles qu’elle me les a proposées, qui finiraient sans contredit et probablement d’après ses propres vues par me livrer entre ses mains. » Sandoz le déclara, le 7, à Talleyrand, qui manifesta la plus pénible déception : « Jamais, dit-il à Sandoz, nouvelle ne pouvait me contrarier et me chagriner davantage que celle-ci ; je ne m’y attendais pas… Ainsi alliance et concert pour la guerre, tout est refusé ! » Il ne restait plus au Directoire d’espoir qu’en Bonaparte. « Barras, mandait Sandoz le 25 octobre, a gagné un certain ascendant par son caractère et par ses liaisons d’amitié avec le général Bonaparte. Ce dernier est une puissance en Italie et un héros protecteur en France. »

Les Directeurs, Barras y compris, le redoutaient plus en France qu’en Italie. C’est pourquoi ils étaient décidés à le laisser en Italie, mais à ne l’y laisser que pour combattre. Ils lui enlèveraient les négociations dont ils redeviendraient les seuls maîtres ; ils l’absorberaient dans la guerre, qui leur semblait impossible sans lui, mais par laquelle, avec lui, tout leur semblait possible. Ils le réduiraient ainsi au rôle qu’ils lui destinaient, celui d’une machine de guerre intelligente et invincible. A aucun prix ils ne lui laisseraient la double popularité de la victoire et de la paix : ce serait abdiquer en sa faveur. La guerre étant la condition nécessaire et la seule ressource de leur gouvernement, il fallait que la paix parût impraticable, même avec Bonaparte, même par Bonaparte, et que Bonaparte fût occupé, sans fin et sans répit, à vaincre des armées, à conquérir des provinces, à rançonner des peuples, à révolutionner des Etats, à détruire des monarchies et à fonder des républiques. Voilà le sens des mesures que prirent les Directeurs dans les premiers jours d’octobre. Le 10. Talleyrand écrivit à Bonaparte que la paix avec la Sardaigne était