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nous, et, à présent que nous sommes devenus tout autre chose, pareille réunion n’aura plus lieu. » Puis, par une association naturelle d’idées : « Voyez si vous ne pouvez pas prendre en Allemagne quelque arrangement qui faciliterait les choses ; si Salzbourg, par exemple, ne pourrait pas vous convenir. — Qu’est-ce que Salzbourg, repartit Cobenzl, on comparaison de l’immensité de vos vues ? Quand vous y ajouteriez encore un morceau de la Bavière, jusqu’à l’Inn, cela ferait à peine un dédommagement de nos possessions en Souabe que vous avez proposé de donner au duc de Modène. D’ailleurs nous ne voulons rien en Allemagne, l’empereur tient très fortement à son intégrité. » C’était se mettre loin de compte avec le Directoire. Bonaparte en avertit Cobenzl, qui se montra inébranlable. Alors Bonaparte : « Voyons, faites un projet ; qu’ost-cc que vous voulez en Italie ? — Je vous ai déjà parlé de Venise et des Légations, répondit Cobenzl ; si on y ajoutait encore le territoire jusqu’à l’Adda et Modène, peut-être pourrait-on s’arranger ? — C’est tout bonnement huit millions d’habitans que vous demandez, s’écria Bonaparte. Ce projet est inexécutable. Vous ne pourriez pas en demander autant après la guerre la plus heureuse ! » Au cours de l’entretien, ils touchèrent un mot des îles Ioniennes. Bonaparte déclara que la France se les attribuait : « La République française, dit-il, regarde la Méditerranée comme sa mer et veut y dominer. » Ce qui les amena à parler de la Russie. « Si j’avais cent mille paysans russes, s’écria Bonaparte, j’en ferais des soldats ; je les organiserais, je déclarerais la guerre au souverain et je m’emparerais du trône. » On convint que l’on se retrouverait le lendemain et que Cobenzl apporterait un projet d’articles.

Rentré dans son cabinet, Cobenzl y fit de profitables réflexions sur la vanité de la diplomatie classique. « Il me paraît, écrivait-il mélancoliquement, que le système de Bonaparte est, dans ce moment-ci, de tourner contre nous… les armes que nous avons voulu employer contre lui. » Au moins faudrait-il en profiter. Les affaires de Rome et les menaces de révolution soufflées par Bonaparte donnaient à penser à Cobenzl. « Il resterait à examiner s’il vaut mieux d’avoir un pape qui convienne aux Français que de s’exposer à n’en pas avoir du tout… » Français ou non, quel que fût ce pape, le plus opportun était, à tout événement et par provision, de le dépouiller des Légations, ne fût-ce que pour arracher ces beaux territoires à la contagion républicaine. Évidemment Bonaparte ne renoncerait, à aucun prix, à Mayence. La question se réduisait donc à ne capituler sur cet article qu’après avoir stipulé un bon prix et après avoir établi, en due forme, par de fermes protocoles, que l’empereur