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s’empresse de tout raconter à Cobenzl, et celui-ci en conclut que Bonaparte, pour brasser cette révolution romaine, va chercher à traîner la négociation. L’intérêt de l’Autriche sera donc de la presser. C’était, précisément l’effet que Bonaparte attendait de ses confidences à Gallo. La conférence officielle ne porta guère que sur les moyens de dénoncer l’armistice et sur le jour de la dénonciation. Puis l’on se sépara pour permettre à Bonaparte et à Cobenzl de reprendre, sans témoins et sans protocoles, la véritable négociation, l’affaire des échanges[1].

Bonaparte entra on matière avec le Rhin et le réclama tout entier : « C’est la limite naturelle de la France, et rien ne peut changer cette disposition de la nature. — Et la Baltique ? riposta Cobenzl ; nous avons tout autant le droit de la prendre dans la nature et d’en faire notre limite. — Mais songez, reprit Bonaparte, revenant au fait, que nous sommes en possession de tout ce que nous voulons avoir et bien au-delà. La paix que nous ferons est d’une espèce tout à fait nouvelle : elle ne consiste qu’en évacuations, au nord, au midi ; partout il faut que nous rendions le prix de notre sang. Sans doute, poursuivit-il, je puis être battu, mais je me retirerai en échelons, et ce sera long. Voyez quelle suite de revers il me faudrait, et quel temps vous emploieriez pour avoir ce que, d’un trait de plume, vous pouvez acquérir. Et si je gagne une seule bataille, je pénètre de nouveau dans vos provinces allemandes, et nous voilà au point où nous en étions. » Cobenzl, essaya de rabattre ces « fanfaronnades » : « L’Autriche avait des armées, et la position des Français, au moment des préliminaires, était singulièrement scabreuse. — Ne croyez pas cela, répliqua Bonaparte. Je sais sur quoi vous comptiez ; vous vous reposiez sur les masses que vous aviez formées ; mais, croyez-en des gens qui sont maîtres passés en fait de masses et apprenez d’eux qu’elles ne sont jamais bonnes à rien. Ce ne sont pas les masses qui nous ont sauvés en France, ce sont nos places fortes et les fautes de la coalition. J’ai moi-même éprouvé à Paris avec quelle facilité 2 000 hommes de bonnes troupes et quelques pièces d’artillerie culbutent la masse la plus formidable. » Cobenzl laissa tomber cette digression, et ils revinrent aux desseins de la République. Cobenzl mit en doute la portée et l’efficacité des prétendus engagemens du roi de Prusse : « Vos vues d’extension réuniront tout le monde contre vous, conclut-il. — Vous avez raison, répliqua Bonaparte, et peut-être que cela devrait être ; mais, par la singularité des événemens du siècle, c’est lorsque nous étions faibles et hors d’état de nuire que tout le monde était réuni contre

  1. Lettres particulières de Cobenzl à Thugut, 30 septembre ; Bonaparte au Directoire, 10 octobre 1797.