Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas moins fort agitées. Le 28, Bonaparte mit les Autrichiens en demeure de nommer, avant le 1er octobre, un plénipotentiaire qui s’aboucherait avec ceux des républiques de France et de Venise, et d’ouvrir la discussion sur l’article VI des préliminaires, l’article des limites de la France. La conférence avait lieu chez lui. — On paraît, dit-il aux Autrichiens, ne vouloir que rassembler des prétextes de rupture ; on marche sur deux lignes parallèles ; il faut se rapprocher. — Il conclut que les préliminaires, étant interprétés de part et d’autre d’une façon différente, devaient être considérés comme nuls, et que le travail était à refaire. Cobenzl maintint que les préliminaires étaient valables, mais qu’ils étaient susceptibles de modifications. « C’est à la France, répétait-il, de proposer les moyens de conciliation. » Ce jeu d’éventail et ce manège de fausse pudeur, à l’autrichienne, ne laissaient pas d’impatienter Bonaparte. Cobenzl comptait sur l’impétuosité du jeune général pour brusquer la déclaration et réduire l’Autriche à une violence qu’elle était fort impatiente de subir. Ils expédièrent les protocoles, dînèrent en compagnie de leurs collègues, et, comme le premier jour, reprirent le propos après dîner[1].

« Croyez-vous de bonne foi, dit Cobenzl, que vos propositions sont le moyen de parvenir à la paix ? L’extension que vous donnez au sens des préliminaires, la prétention de vous approprier Mayence et une partie de la rive gauche du Rhin, doter à l’Empire sa principale barrière, ne dévoilent-ils pas un système d’envahissement qui n’aurait plus aucune borne ? » Bonaparte protesta que la France, contente de ses succès, resterait dans ses limites et ne ferait plus la guerre que pour sa défense. « Quelle sûreté pouvons-nous en avoir, repartit Cobenzl, si les stipulations des préliminaires ne sont pas remplies ? » Puis, venant à l’article qui le préoccupait le plus dans les affaires d’Allemagne, et bien plus, assurément, que l’intégrité de l’Empire, il poursuivit : « D’ailleurs, quand tous les motifs possibles ne se réuniraient pas pour empêcher l’empereur de donner les mains à ce que vous demandez, la seule considération que ce serait fournir au roi de Prusse un prétexte pour s’agrandir en Allemagne suffirait pour l’en détourner. » Pour la première fois, Cobenzl se découvrait ; Bonaparte soupçonnait ce défaut de la cuirasse ; dès qu’il l’aperçut, il en profita : « Le roi de Prusse, dit-il, a reconnu pour nous la rive gauche du Rhin. Il a des droits sur nous pour avoir été le premier à quitter la coalition ; nous avons avec lui des engagemens très récens ; il ne discontinue pas de nous faire toutes les instances et toutes les offres possibles. Mais si

  1. Lettres particulières de Cobenzl à Thugut, 30 septembre ; Bonaparte à Talleyrand, 10 octobre 1797 ; Huiler, p. 393 ; Sybel, t. V, p. 124.