d’aigreur », remarque Cobenzl, sans se douter que cette famille serait un jour celle de son étrange interlocuteur. « Il développa, ajoute l’ancien partenaire de Catherine, ses idées sur les mesures révolutionnaires avec cette suite et cette précision qui caractérisent sa manière de voir et qui le rendent si dangereux pour la tranquillité générale. » — « L’empereur est mal servi, dit Bonaparte, désireux de piquer Cobenzl et de l’animer contre Thugut ; s’il n’avait pas différé la paix, il serait à présent en possession de son lot ; l’échange qu’il fait pour les Pays-Bas et la Lombardie est si avantageux que Joseph II n’aurait pas hésité à y donner les mains, même sans aucune guerre ; le changement survenu à Venise doit être considéré comme un changement de règne, arrivé par ordre de succession ; tous les États sont soumis à de pareilles variations, et dans les États monarchiques, la volonté seule du souverain en produit d’aussi considérables. Témoin les changemens opérés par Joseph II. » Ce général de 28 ans, ce parvenu républicain savait tout, comme d’intuition et par droit de conquête. Sans même prendre le temps de s’en étonner, Cobenzl en vint à parler avec Bonaparte comme il l’aurait pu faire avec la grande Catherine, non certes avec sincérité, mais sans circonlocutions, la main ouverte et cartes sur table : « Pourquoi, dit-il, la France s’attache-t-elle à ce point à la fortune de la Prusse ? Son intérêt n’est-il pas au contraire de se rapprocher de l’Autriche pour s’opposer ensemble aux ambitions de cette monarchie ? Je ne vois pas pourquoi vous voulez toujours favoriser à nos dépens des républiques que vous avez cependant moins d’intérêt de ménager que nous. » Les précautions oratoires semblaient épuisées, et il fallait en venir aux propositions positives, fixer des prix, marquer des lots ; aucun des deux interlocuteurs ne voulait dire le premier mot. « Déboutonnez-vous donc, répétait Bonaparte. — C’est à vous, répondait Cobenzl, de vous déboutonner, et puisque vous voyez des obstacles à la paix, à indiquer les moyens de les lever. »
Bonaparte revint chez lui à Passeriano, persuadé que, moyennant la ville de Venise et la ligne de l’Adige, les Autrichiens reconnaîtraient les limites constitutionnelles de la République, et consentiraient, en outre, à la cession de la plus grande partie de la rive gauche du Rhin, avec Mayence. Le point était, « pour sauver les apparences », d’amener Cobenzl à déclarer que l’exécution des préliminaires était impossible. Ces « apparences » n’intéressaient, en France, que les Conseils, en Allemagne, que la Diète. C’est pour ces assemblées, pour les journaux, pour l’opinion du public que furent rédigées les notes et que furent dressés les protocoles de la négociation. Cependant, toutes formelles qu’elles demeurèrent, ces conférences officielles n’en furent