milieu des labours. A l’intérieur s’ouvrent, de deux côtés, les bâtimens de la ferme, et au fond les appartenons du maître, protégés par un cloître et dont les murs sont revêtus de faïences. Des poteaux de téléphone partent de là dans deux directions, et relient, la hacienda avec la maison de Séville et avec la ganaderia vers laquelle nous allons.
Les chevaux reprennent le trot, et je sens venir un paysage. Joie des yeux, joie de toute l’âme, je vous devinais déjà ! Les guérets sont finis. Nous roulons sur l’herbe brûlée d’une prairie, tachée, çà et là, de touffes pâles d’aloès, et que barre en avant une ligne de maquis. Derrière les bois, que ce doit être beau ! Toute la terre descend, d’une inclinaison uniforme et lente, vers le fleuve lointain ; une vallée va s’ouvrir, et, comme un fruit qui pend sur la crête d’un mur, laisse paraître un peu de sa lumière entre deux pointes d’arbres. Les chevaux se jettent dans un marais où ils ont de l’eau jusqu’au poitrail ; ils remontent la berge ; ils entrent dans la brousse. C’est un communal entièrement désert, inculte et délicieux. Tout à coup, parmi les branches emmêlées des lentisques, j’aperçois deux cornes et un œil noir.
— Un taureau !
M. de Ybarra regarde un moment, car il n’est pas bon de rencontrer de ces taureaux solitaires, vaincus dans le combat, chassés du troupeau, et si dangereux qu’on publie dans les villages, après l’office, le nom des quartiers qu’ils habitent. Heureusement mon taureau n’était qu’une vache égarée, qui lève à notre passage sa tête fine et sauvage, entièrement noire, et ne manifeste à notre égard aucune intention mauvaise. Après le maquis, un bois d’oliviers géans, appartenant au domaine, et ceux-là mêmes dont nous avons admiré les olives à des Hermanas, puis la vallée, la plaine qui n’a plus de rives, des prairies sans haies, sans fossés ni barrières, qui baissent toujours, jusqu’à se perdre dans le bleu, et Séville à l’horizon, lumineuse, dentelée, orientale, avec sa Giralda qui porte à son sommet une aigrette de rayons. Nous sommes dans l’océan d’herbes. Le soleil fait trembler les lointains. Devant nous, des lueurs longues de (marais, au-dessus desquels tournent des vols d’oiseaux.
Sur la gauche, s’élève une hacienda rose, carrée comme la première. Nous y courons.
C’est San José de Buenavista, qui appartient à l’un des frères de notre hôte d’aujourd’hui, D. Eduardo de Ybarra. Le nom du domaine est écrit en lettres de faïence au-dessus de la porte d’entrée. La maison de maître, occupant une des ailes du quadrilatère, peut passer pour un modèle de ces rendez-vous élégans