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Troisième aquarelle. — Il fait presque nuit. Nous sommes en plein maquis, et le vert des oliviers sauvages, et celui des lentisques et des buis sont fondus en une même teinte fumeuse. D’espace en espace, la pointe d’un arbrisseau mort se lève dans le taillis, comme la croupe d’un bœuf roux. Au milieu d’une clairière, un homme à cheval, qui paraît gigantesque, abreuve sa mule au bord d’une citerne. Les montagnes sont roses, très loin, vers l’Orient. La nuit n’est pas venue pour elles. Du côté de l’Occident, à la place où le soleil a disparu, dans l’auréole de rayons pourpres qu’il a laissée au-dessus des terres sombres, trois aloès, dépassant le maquis, tendent leurs bras terribles…

Nous entrons en gare de Séville avec une heure de retard, ce qui peut être considéré, me dit-on, comme un succès. Et, presque tout de suite, je m’arrête, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, pour voir la compagnie des serenos sous les armes, prête à partir. Ces dignes gens, vous le savez, sont chargés de veiller au bon ordre des rues pendant la nuit, de crier les heures en annonçant le temps qu’il fait, et d’ouvrir les portes aux citoyens qui auraient oublié leur clef. Ils sont là plus de cent, divisés en trois sections, vêtus de la veste courte à boutons d’or, coiffés d’une casquette plate à bande rouge, la hallebarde d’une main, la lanterne de l’autre. La plupart, comme le temps menace un peu, ont emporté un parapluie. Au commandement d’un vieux capitaine à gros ventre, ils doublent les files, mettent le parapluie et la hallebarde sur l’épaule droite, et quittent la place dans trois directions différentes.

Un peu plus tard, lorsque le bruit de la ville se fut assourdi, j’entendis sous mes fenêtres une bonne voix enrouée qui criait : Ave Maria purissima ! Las once han dado, y sereno ! Et je songeai, avec un frisson de joie, que j’étais dans cette Séville des chansons, la capitale enchanteresse du Midi, la sœur par la beauté de Venise l’italienne, dont on ne parle plus qu’avec regret, dès qu’on l’a entrevue.


SÉVILLE

Je veux cependant le dire pour l’amour de la vérité, devenu, depuis peu, une vertu des voyageurs : Séville n’est pas ce que l’on a prétendu ; elle n’étonne pas ceux qui ont déjà visité plusieurs villes espagnoles, ceux surtout qui ont vu Grenade ou Cadix.

Elle est vivante, mais la plupart des villes du Midi le sont également ; elle a de belles promenades, mais dont les pareilles