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et c’est là qu’il lui fit ses derniers adieux avec des accens de tendresse qui remuèrent vivement la foule accourue pour assister à ce spectacle.

Pendant son premier séjour à Alexandrie, le prince m’avait permis de lui présenter la colonie française ; il l’accueillit avec la plus bienveillante affabilité, s’enquérant de l’état et des besoins de notre commerce dans le Levant. J’eus l’honneur également de lui présenter le corps consulaire ; il sut trouver, pour chacun de ses membres, une parole aimable, un sujet d’entretien touchant les intérêts qui lui étaient confiés en Égypte.


VII

Ce que chacun put constater et retenir durant le voyage du duc de Montpensier, comme il le nota lui-même, ce fut la sûreté et la liberté d’esprit avec lesquelles le vice-roi abordait les questions de tout ordre dans ses entretiens avec le prince. On put en conclure qu’il avait totalement recouvré l’exercice de ses belles facultés. Illusions vaines et décevantes ! Le mal, qui avait fait une si soudaine apparition l’année précédente, ne pouvait manquer, aidé par la longue vieillesse du pacha, de le ressaisir et de le terrasser. Il reparut en effet en 1847 avec des symptômes plus alarmans. Je pus m’en assurer moi-même. Il me fut permis de pénétrer jusqu’à lui, et je ne saurais dire la cruelle angoisse que me causa le spectacle de ses divagations. Cet esprit que j’avais connu si lucide s’égarait dans d’étranges hallucinations ; mais une pensée lui revenait eu m’apercevant. « Le roi, le roi, » répétait-il, et le roi pour lui c’était la France. Moins que jamais, il aurait admis que le souverain ne fût pas l’unique, la véritable représentation du pays.

On jugea, dans les derniers mois de l’année, qu’un déplacement pourrait lui être salutaire. Il consentit à entreprendre un voyage qui, lui disait-on, pourrait s’achever en France. Ils s’embarqua sur un navire français que le consulat général s’empressa de mettre à sa disposition. Il fit une première station à Malte pour y purger la quarantaine imposée aux provenances d’Alexandrie. Pour ménager la transition du climat d’Égypte à celui de nos contrées, on le conduisit à Naples. C’est là qu’il apprit la révolution de Février et la chute du roi Louis-Philippe. Il en ressentit une secousse qui aggrava son état. On le ramena à Alexandrie en proie aux plus étranges désordres intellectuels. J’ai dit ailleurs[1] que le plus souvent il avait l’esprit troublé par le désir

  1. La Question d’Égypte. Voyez la Revue du 1er novembre 1891.