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aux enfans et aux malades, quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent.

Cependant notre consul général ne ménageait pas au vice-roi les bons avis. Il avait mûrement observé la situation et il en avait relevé tous les côtés défectueux. Il ne cessait notamment d’appeler l’attention du pacha sur l’état de ses finances restées fort obérées depuis les charges qu’il avait imposées au pays pendant la période de sa grandeur et de ses luttes avec le sultan. Sa franche parole avait convaincu Mehemet-Ali de sa sincérité, et cet homme si peu endurant l’écoutait sans s’offenser des vérités qu’il lui faisait entendre.

Les investigations, auxquelles il s’était livré dès son arrivée en Égypte, avaient conduit notre représentant à constater les vices et les erreurs de l’administration, à se rendre un compte exact de l’état réel des choses. Et en terminant une dépêche dans laquelle il rendait compte du résultat de ses observations il ajoutait : « Les impôts excèdent les forces du pays. Toutes les dispositions prises dans les jours de crise et de danger, alors qu’il fallait faire face à l’Europe coalisée, ont été maintenues après la conclusion de la paix. Ainsi les droits dont on avait frappé tous les métiers, toutes les professions, la capitation qui pèse sur la classe pauvre et particulièrement sur la population rurale, — la solidarité imposée à tous les contribuables d’un village, entre tous les villages d’une province, entre les provinces elles-mêmes, — toutes ces mesures purement fiscales et si ruineuses sont toujours rigoureusement exécutées sans jamais avoir été révisées, sans qu’on ait pris en considération les déplacemens de la population. C’est ainsi qu’un village qui ne compte plus que trois cents habitans est encore tenu d’acquitter le montant intégral de l’impôt fixé au moment où il en comprenait douze cents. Les paysans, souvent contraints par la corvée de travailler sur les terres du vice-roi ou de ses fils, ne reçoivent le prix de leur salaire qu’après de longs délais et souvent en objets manufacturés dont la valeur est arbitrairement arrêtée par un agent de l’administration. On a vu Ibrahim-Pacha payer tous les ouvriers d’un village en mélasse, produit de la fabrique de sucre qui a été établie dans la Haute-Égypte. » M. de La Valette ne se bornait pas à signaler ces abus à s’on gouvernement, il les plaçait hardiment sous les yeux de Mehemet. Le pacha lui promettait d’y aviser, et sur ses instances, il en corrigea un certain nombre.

D’autre part, le pacha, en vieillissant, n’avait rien perdu de son goût, de sa passion pour les entreprises grandioses. Toute conquête lui étant désormais interdite au dehors, il agitait, dans son esprit, le dessein d’illustrer la fin de son règne par des œuvres