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une corde sensible chez cet homme qui devait tout à la nature, rien à l’étude.

Le gouvernement français avait établi, dans la Méditerranée, plusieurs lignes de paquebots qui relevaient de notre ministère des finances ayant alors, dans ses attributions, le service des postes. Alexandrie était l’un des ports auxquels ces lignes aboutissaient. Il était de toute nécessité d’y posséder des magasins pour y abriter des rechanges et des approvisionnemens. Nous avions, sans résultat, sollicité la concession d’un terrain où nous les aurions construits à nos frais. Mehemet-Ali était resté sous l’empire d’un préjugé, entretenu par sa défiance ; il s’imaginait que sa sécurité exigeait que, sous aucun prétexte, une parcelle quelconque du sol égyptien ne pût appartenir à une puissance étrangère. « Je sais bien, disait-il, que je n’ai rien à redouter de la France ; mais si je cède à ses instances, il m’en viendra d’un gouvernement autrement envahisseur, et elles seront certainement bien plus importantes. Je ne serai plus en mesure de les repousser, et elles deviendront la source des plus graves difficultés pour mes successeurs, sinon pour moi. »

Il déclina donc nos propositions. Je reçus l’ordre de les lui représenter et de ne négliger aucun effort pour déterminer le pacha à les agréer. J’échouai dans une première entrevue. « Votre gouvernement, m’objecta-t-il, ne peut vouloir qu’Alexandrie devienne l’entrepôt et le domaine de la puissance, — il ne la nommait jamais, — qui déjà encombre notre port de ses navires et accapare la plus grosse part de nos échanges. » Bientôt un nouveau consul général me fut annoncé, et mon intérim touchait à sa fin. Son arrivée était imminente. Je saisis ce prétexte pour revenir à la charge, en représentant au vice-roi que le premier soin, le premier devoir de ce nouvel envoyé serait de revenir sur cette négociation, et qu’un insuccès, à ses débuts, nuirait à ses relations avec Son Altesse. Pour justifier mon insistance, je prétextai l’avantage personnel que je pourrais tirer de son acquiescement. « J’aurais, en effet, lui dis-je, si j’obtenais l’adhésion du vice-roi, fait aboutir, moi, simple intérimaire, une négociation vainement poursuivie par deux et trois consuls généraux, et rendu un service dont il me serait certainement tenu compte ; ce succès profiterait sans nul doute, à ma carrière. » J’étais autorisé à tenir ce langage, et par l’aménité qu’il apportait dans les relations que j’entretenais avec lui, et par la bienveillance qu’il se plaisait à me témoigner. Quoi qu’il en soit, mon double argument le toucha. Rebelle à des considérations d’ordre politique, il ne résista pas au désir de m’obliger. Je pourrais citer