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les menées anarchistes a été définitivement rejetée par le Reichstag. L’événement, depuis quelques jours, n’était plus imprévu. Lorsque le projet de loi a été présenté, il a soulevé tout de suite des objections et des protestations : on croyait toutefois que le gouvernement ne s’opposerait pas à ce qu’il fût amendé sur quelques points, et personne alors ne doutait sérieusement qu’il ne fût voté. Par malheur, la commission chargée de l’étudier, au lieu d’adoucir le caractère excessif de certains articles, s’est appliquée à les exagérer et à les rendre plus draconiens. Ce n’étaient plus les menées anarchistes qui étaient visées, mais l’indépendance de la pensée qui était menacée dans le domaine religieux, social et même scientifique. On sait combien la liberté de philosopher est chère au peuple allemand. La réprobation soulevée par le projet de loi est devenue bientôt universelle : il a été successivement abandonné par tous les partis, et si le gouvernement avait été bien inspiré, il l’aurait retiré pour en présenter un autre. Au lieu de cela, il s’y est entêté comme si ce projet avait toujours été le sien, et il l’a défendu avec une ardeur qui aurait pu être mieux employée. La seule chance de le faire passer aurait été pour lui de s’entendre avec le centre catholique, mais il a reculé devant une alliance qui lui aurait coûté trop cher, et il est allé à la bataille sans soldats. Le Reichstag a successivement rejeté les modifications proposées aux articles 111 et 112 du Code pénal. Le premier de ces articles vise l’apologie des faits qualifiés crimes par la loi, le second l’excitation à la désobéissance adressée aux soldats. Dès lors, le sort de la loi était fixé. Tous les autres articles ont été repoussés sans qu’on prît même la peine de les discuter. C’en était fait de cette loi qui avait si fort occupé les esprits et ému les imaginations pendant de longs mois. Les socialistes allemands, assez semblables aux nôtres, se sont naturellement attribué tout le mérite de ce dénouement : il est juste de reconnaître qu’ils y ont contribué. Le gouvernement restera-t-il sous le coup de sa défaite? Cherchera-t-il à s’en relever, et par quels moyens? Le Reichstag, que l’empereur a déjà traité si rudement au moment où il a refusé de prendre part aux fêtes du 1er avril, en l’honneur des 80 ans de M. de Bismarck, est-il ou sera-t-il bientôt jugé mûr pour la dissolution? Ce sont des questions que, pour le moment, on ne peut que poser, et que peut-être on ne se pressera pas de résoudre.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.