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les appellent leurs intérêts, une garantie de paix et de sécurité. » Notre gouvernement avait le droit de tenir ce langage après le succès qu’il vient d’obtenir en extrême-Orient. Nous avons longuement parlé, il y a quinze jours, de la situation qui était alors pendante entre la Chine et le Japon, et des motifs que l’Europe avait d’y intervenir. Quel qu’ait été l’éclat de ses victoires, il était impossible de laisser le Japon s’établir sur le continent asiatique, et surtout à Port-Arthur, sans ouvrir pour la suite une ère de difficultés et de conflits où le monde occidental aurait été, bon gré mal gré, obligé de prendre parti. Le Japon est un pays trop intelligent et son gouvernement est trop sage pour ne pas l’avoir compris. Il a vaincu la Chine, non pas l’Europe. Il était en droit de tout exiger de la première, mais il avait le devoir de ménager les intérêts de la seconde. Aucune puissance occidentale n’a songé à intervenir entre la Chine et lui. Le traité de Simonosaki a été ratifié à Pékin, tel qu’il avait été consenti entre les plénipotentiaires des deux gouvernemens. Il convenait d’autant plus de laisser intégralement au Japon le bénéfice moral de sa victoire, qu’on devait lui demander ensuite plus de sacrifices de détail. Tout s’est passé, de part et d’autre, avec une parfaite correction. Le Japon, habile, souple, cédant du terrain peu à peu, pas tout à la fois, a proposé d’abord d’abandonner la province de Liao-Toung, c’est-à-dire la pointe méridionale de la Mandchourie, mais il aurait voulu garder Port-Arthur. On lui a fait sentir qu’il fallait aller plus loin et renoncer à Port-Arthur lui-même : il l’a compris, et l’Europe lui doit certainement de la reconnaissance pour la bonne grâce avec laquelle il s’est rendu à ses conseils. Bien des points restent à régler encore; toutefois l’essentiel, l’indispensable, est acquis. La paix en est pour longtemps consolidée en extrême-Orient, et elle l’est grâce à l’intervention de la Russie et de la France, auxquelles l’Allemagne s’est jointe et a apporté le plus utile concours. Voilà comment, sans coup férir, bien plus, sans que la moindre menace ait été proférée, par la simple action morale et toujours amicale de trois grandes puissances, un problème complexe, délicat, redoutable, s’est trouvé résolu en peu de jours.

S’il est vrai qu’une politique se justifie par ses conséquences, il faut convenir que celle que nous avons suivie a été amplement justifiée. Et pourtant des critiques se sont produites. On a demandé quel intérêt nous avions dans cette affaire. On voyait bien celui de la Russie, on ne voyait pas le nôtre, et plusieurs journaux, usant d’une vieille métaphore, ont accusé notre gouvernement d’avoir, une fois de plus, tiré pour d’autres les marrons du feu. Le reproche aurait été plus grave si nous nous étions tant soit peu brûlé les doigts en opérant cette besogne. Notre intervention aurait pu, dit-on, nous coûter cher : soit; mais le moment est passé de raisonner sur des hypothèses puisque nous sommes en face de réalités. Les ressources que nous