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menace d’être livrée, peut-être sans grande défense, aux surprises que ne manqueront pas de lui procurer les faiseurs de contre-projets et d’amendemens. Où cela nous conduira-t-il? Quel sera le terme final de la nouvelle phase financière où nous entrons? Jusqu’aujourd’hui le déficit a été nié, plus ou moins énergiquement, par les gouvernemens qui se sont succédé. Les réformes que l’on proposait avaient pour objet une meilleure répartition des charges publiques, et tout ce qu’on leur demandait, suivant le mot à la mode, était de se suffire à elles-mêmes, c’est-à-dire de ne rien coûter. Aujourd’hui la situation est changée, le déficit est avoué, le gouvernement demande aux Chambres de le combler. Les moyens qu’il propose sont-ils les meilleurs? On le contestera de divers côtés. M. le ministre des finances fait emploi des ressources que fournira l’impôt sur les successions. Il s’agit, tout le monde le sait, d’un impôt progressif, et nous n’avons pas besoin de rappeler les objections qu’il soulève en principe. Soit 25 millions. M. le ministre des finances demande 10 millions à un impôt gradué sur les domestiques. Le reste sera pris sur les valeurs étrangères. Mais attendons le projet de budget de M. le ministre des finances : il serait imprudent d’en parler sur des indications encore incomplètes.

M. Ribot a d’ailleurs abordé beaucoup d’autres sujets. Il en est un surtout auquel il ne pouvait pas échapper : c’est l’attitude des congrégations religieuses, ou, pour parler plus exactement, d’une partie de l’épiscopat français à l’égard de la loi sur le droit d’accroissement. Les congrégations n’ont rien dit jusqu’à ce jour. Leurs supérieurs se sont réunis pour convenir de l’attitude à prendre; mais ils ne sont pas encore mis d’accord. Une sorte de mystère a enveloppé leurs délibérations : le seul fait certain est qu’elles n’ont pas abouti. En revanche, les évêques et les archevêques ont beaucoup parlé ; non pas tous, une petite minorité seulement s’est prononcée jusqu’ici; à notre avis, c’est trop encore. Les dissentimens qui se sont produits, dans le sein même du clergé et de ses représentans les plus élevés, seraient regrettables partout : ils le sont plus encore dans un corps où l’union et au besoin la discipline sont particulièrement indispensables. Mgr Fuzet, évêque de Beauvais, a ouvert le feu. Il a conseillé aux congrégations de son diocèse de se soumettre à la loi et de payer l’impôt, en quoi il a eu raison ; mais il aurait pu y mettre plus de discrétion et de tact. Son intention a été bonne : toutefois, avant d’y céder, il aurait bien fait de pressentir l’opinion de ses collègues, non pas pour modifier la sienne, mais pour se rendre bien compte de l’effet qu’il produirait en l’exprimant sous une certaine forme. Il a provoqué, de la part de son propre métropolitain, des protestations qui n’ont pas été plus prudentes que ne l’avait été sa propre manifestation. Et voilà la guerre allumée, allumée entre évêques, archevêques, cardinaux. Les répliques se croisent, de plus en plus acerbes, malgré la solennité du langage, et