ou trois chambres que je fis abattre dans la suite. Elle trouvait que j’en avais assez d’une quand j’y voudrais aller, et destina comme de raison la plus propre pour M. de La Rochefoucauld qu’elle souhaitait qui y allât souvent. » Un à un elle faisait descendre « chez elle », les meubles qui étaient à sa convenance. Elle s’installait. Elle recevait ses amis. Le nouveau propriétaire faisant mine de se plaindre, elle se fâcha, prétendant que cela ne pouvait qu’être commode pour lui puisque, quand il voudrait y aller, il serait assuré de trouver compagnie. Il fallut pourtant qu’elle se résignât. « Elle vit bien qu’il n’y avait pas moyen de conserver plus longtemps sa conquête. Elle l’abandonna, mais elle ne me l’a jamais pardonné. » Entre les mains de Gourville, Saint-Maur devint la magnifique résidence que l’on sait. Cédant à la manie de bâtir qui pour lors faisait rage, il s’y livra à toute sorte de prodigalités, comme faisaient M. le Prince à Chantilly, et Louis XIV à Versailles.
Restait la vieillesse aux années souvent difficiles. Gourville la vit venir sans effroi : il sut vieillir. C’est le temps où il écrit ses Mémoires. Il se plaît à examiner l’état de son âme. Il n’y trouve que paix et contentement : « Depuis quelques années je compte de ne pouvoir pas vivre longtemps : au commencement de chacune, je souhaite pouvoir manger des fraises; quand elles passent, j’aspire aux pêches, et cela durera autant qu’il plaira à Dieu. » La phrase est charmante, dans son rayonnement de soleil couchant. Ce financier s’exprime à la manière des poètes. L’âme du sage s’épure aux atteintes prochaines de la mort... Gourville est en règle. Il a demandé au roi son congé et l’a remercié d’avoir eu pour lui des bontés au delà de ce qu’on peut imaginer. De même il a pris ses sûretés du côté de la religion. Il est revenu aux pratiques du christianisme; et nous n’avons aucune raison de suspecter la sincérité de sa foi. Il a fait le partage de ses biens. Il compte qu’il a quatre-vingt-dix neveux et nièces, arrière-neveux et arrière-nièces, et il s’est amusé à mettre pour chacun d’eux un louis d’or à la loterie. — Et lui aussi, il est un patriarche !
Comment de si bas qu’il était parti Gourville a-t-il pu s’élever si haut? On le comprend sans trop de peine. Encore pour le comprendre tout à fait, ne suffit-il pas d’avoir lu les Mémoires, et ne faut-il pas s’en tenir à l’image involontairement adoucie que l’auteur nous y donne de lui-même. Il règne dans ces Mémoires un ton de bonhomie. On ne s’attendait pas à trouver chez un partisan tant de détachement. On croyait qu’un traitant dût être plus âpre au gain. Mais il faut entendre le témoignage des contemporains. Ils nous peignent Gourville « avide d’emploi », comme dit Mme de Motteville, « allant à ses fins par toutes voies, d’une activité brusque et infatigable, » comme dit Lenet, « naturellement assez brutal, » comme dit Saint-Simon. Voilà qui remet les choses au point. Gourville est de ceux qui brusquent la fortune. Il est hardi ; et il est souple. Il se plie aux circonstances. Il ne s’étonne de rien.