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mille livres de Guyenne et cent mille de Dauphiné, il se serait déclaré content de son sort; n’était qu’un exempt du prévôt de l’île qu’on avait mis chez lui en garnison lui buvait d’un certain vin de l’Ermitage auquel il tenait beaucoup. — Cependant on se décide à lui faire son procès. L’issue ne pouvait faire doute. Gourville fut condamné à être pendu et étranglé « si pris et appréhendé pouvait être », sinon à être « effigie à un tableau qui serait attaché à une potence, laquelle serait à cette fin plantée dans la cour du Palais. » A deux jours de là, ayant eu occasion de venir à Paris pour régler quelques affaires, il apprit, en arrivant au milieu de la nuit, qu’Use balançait en image à la potence de la cour du Mai. Il eut la curiosité de voir son portrait. Il l’envoya décrocher par un valet. Il n’en fut pas satisfait, trouvant qu’on « ne s’était guère attaché à la ressemblance. » Puis il s’achemina à petites journées vers la Belgique... C’en était déjà la mode.

L’heure était venue pour Gourville de se transformer en honnête homme et personne de considération. Il le sentit avec son habituelle subtilité. Ce qu’il y a d’admirable dans sa vie et qui en fait une œuvre d’art, c’est qu’il a toujours su prendre les sentimens qui convenaient à son rôle et le rôle qui convenait à son âge. A l’étranger il avait été reçu avec toute sorte d’égards. A Londres, à Bruxelles, à la Haye, on lui avait fait fête. Charles II et le duc d’York, le milord Buckingham et le milord Arlington, les ducs de Zell et de Hanovre, Guillaume d’Orange, les princes et leurs ministres, les ambassadeurs et les gentilshommes recherchaient la conversation de l’exilé. L’idée lui vint qu’il pourrait mettre à profit pour le service du roi de si belles relations. Il s’en ouvrit à de Lionne et obtint en effet un pouvoir pour négocier avec les princes de Brunswick. « Me voilà donc mon procès fait et parfait à Paris, et plénipotentiaire du Roi en Allemagne. » Si Gourville le constate, ce n’est pas pour la vanité de faire une antithèse, c’est pour fixer une date. A partir de ce moment, sa destinée prend une direction nouvelle. Chargé à plusieurs reprises de missions diplomatiques, il devient l’un des agens de Louis XIV, dépositaire des secrets de l’État. Rentré en France, il accepte d’administrer les biens des Condé qui étaient dans un incroyable désordre. Il déploie dans ces fonctions une activité, une adresse et même un désintéressement dignes des plus grands éloges et qui lui valurent l’estime universelle. Les Condé voyaient en lui moins un intendant qu’un ami. — A une si brillante fortune il fallait un cadre qui fût en rapport avec elle. Gourville demanda à M. le Prince de lui céder, pour sa vie durant, la capitainerie de Saint-Maur. Cela ne fit point de difficulté. Ou plutôt il n’y eut qu’une difficulté : ce fut de faire partir Mme de La Fayette. Elle était allée à Saint-Maur passer quelques jours pour prendre l’air. Elle se logea dans le seul appartement qui fût habitable. Elle s’y trouva bien. Elle resta. « De l’autre côté de la maison, dit Gourville, il y avait deux