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n’y en a aucun qui, dans son système, n’ait réservé une part à l’inexplicable. M. Spencer lui-même la lui a réservée : mais il a ensuite gâté son système en attribuant à la science une portée que ses prémisses ne permettaient point de lui attribuer. « Personne n’est tenu à explorer les principes premiers ; mais ceux qui l’ont spontanément entrepris n’ont pas le droit ensuite de reculer devant leurs conclusions. Et si parmi ces conclusions on a trouvé la nécessité d’un certain scepticisme à l’égard de la science, on n’améliore pas la situation, mais au contraire on l’empire, en feignant ensuite de l’avoir oublié. » M. Spencer nous affirme que douter de la science, « c’est comme si l’on refusait d’admettre que le soleil éclaire. » Or il résulte des principes mêmes de M. Spencer que le soleil n’éclaire pas. Car de dire qu’il éclaire, c’est supposer la compréhension de notions telles que la matière, le temps, l’espace, la force que M. Spencer déclare incompréhensibles; et M. Spencer nous apprend en outre que « ce que nous appelons les propriétés de la matière ne sont rien que des affections subjectives, produites en nous par des agens extérieurs, à jamais inconnues et inconnaissables. » De telle sorte que, ou bien le soleil est une affection subjective, auquel cas on ne saurait dire qu’il éclaire, ou bien il est inconnu et inconnaissable, auquel cas le plus sage serait de n’en point parler. »

Il ne reste donc qu’à chercher un système assez complet pour donner satisfaction à tous les besoins de notre âme, et assez général pour pouvoir être admis de tous les esprits. Ce système parfait, c’est, d’après M. Balfour, le déisme, sous la forme particulière de la doctrine chrétienne. Lui seul répond à nos sentimens esthétiques, religieux et moraux; et lui seul, par surcroît, légitime notre science et notre raison, dans les limites où celles-ci peuvent avoir leur emploi.


Tel est, dans ses lignes principales, cet ouvrage de M. Balfour; et il ne me reste plus maintenant qu’à signaler brièvement quelques-uns des articles que lui ont consacrés les revues anglaises. Aucun de ces articles, à dire vrai, ne mériterait d’être signalé pour la profondeur ni la nouveauté des vues qu’il contient : à peine si dans quelques-uns j’ai trouvé la trace d’un effort pour apprécier, d’une façon désintéressée, l’ensemble de la thèse si éloquemment soutenue par M. Balfour. Mais, à défaut d’une réelle valeur philosophique, ces articles m’ont paru offrir un intérêt d’un autre ordre : ils constituent un précieux document psychologique, attestant une fois de plus combien il est désormais difficile à un honnête homme de parler librement et de se faire entendre.