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un rôle pour le moins aussi important que celui de M. Gladstone. Lui seul, en tout cas, est de taille à le jouer. Les préventions et les antipathies qu’il avait d’abord suscitées sont désormais apaisées; et ses adversaires politiques eux-mêmes doivent reconnaître en lui le leader le plus habile qu’ait eu la Chambre des Communes, depuis le temps de sir Robert Peel. L’adresse de ses reparties, sa souplesse et son égalité d’humeur dans le maniement des hommes, sa probité et son désintéressement, toutes ces précieuses vertus lui ont valu autant de respect dans le parti opposé que d’affection dans le sien. Il a apporté aux mesquines discussions parlementaires quelque chose de l’âme chevaleresque des anciens paladins. » Et M. Stead ajoute : « Ainsi nous savions déjà que M. Balfour était un politicien habile, un orateur brillant, un administrateur sagace ; et nous savions encore qu’il était un de nos meilleurs essayistes. Mais rien de ce qu’il nous avait fait voir jusqu’ici ne nous avait préparés à l’extraordinaire ensemble de qualités littéraires que nous avons trouvé dans ses Fondemens de la Croyance, à cet éclat de style, à cette hardiesse de pensée, à cette sérénité noble et sage, à cette verve mordante, ni surtout à cette habileté vraiment géniale dans le choix des exemples, qui projette sur les questions les plus abstruses de la métaphysique un clair rayon de vie et de poésie. »

Peut-être M. Stead va-t-il un peu loin dans l’éloge. Et peut-être aurait-il été moins étonné de voir réunies dans ces Fondemens de la Croyance tant de belles qualités littéraires, s’il avait pris la peine de lire, ou de relire, les ouvrages précédens de M. Balfour, son essai sur la Religion de l’Humanité, son Apologie du doute en madère de philosophie. Il y aurait retrouvé les mêmes qualités, employées à défendre des idées semblables. Et il y aurait retrouvé le même défaut, un défaut que M. Balfour partage d’ailleurs avec la plupart des théoriciens anglais : raisonneur subtil, adroit dans l’attaque et prompt à la riposte, se mouvant en outre dans les questions générales avec une aisance et une souplesse remarquables, M. Balfour ne sait pas composer. Il donne, en vérité, à son argumentation toutes les apparences d’un plan rigoureux, multipliant les titres et les sous-titres, s’arrêtant vingt fois pour résumer ce qu’il a déjà établi et indiquer ce qui lui reste à établir encore; mais avec tout cela jamais nous ne parvenons à saisir clairement l’ordre total de ses idées, ni à comprendre pourquoi, ayant commencé de traiter un sujet, il s’interrompt pour y revenir quelques chapitres plus loin.

Mais tous ces écrits philosophiques de M. Balfour nous prouvent, en revanche, combien il y a dans l’esprit anglais de goût et d’aptitude pour les raisonnemens abstraits, combien ce peuple de positivistes est aussi un peuple d’idéologues et de métaphysiciens. M. Stead nous avertit bien que M. Balfour est Écossais, que, par son tempérament