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LE TASSE
SON CENTENAIRE ET SA LÉGENDE



I

Le 25 avril 1595, le Tasse, qu’on s’apprêtait à couronner au Capitole, expira au couvent de Saint-Onuphre, vers onze heures du matin, en pressant sur son cœur un crucifix, qui a été précieusement conservé ; il commençait à prononcer d’une voix mourante ces paroles : In manus tuas, Domine ! quand le souffle lui manqua ; il ne put achever. Le 25 avril 1895, l’Italie a prouvé avec éclat combien, à travers tant de vicissitudes et de révolutions, lui était resté présent le souvenir du plus exquis et du plus populaire de ses poètes. Des fêtes commémoratives ont été célébrées à Bergame, patrie de ses pères et son lieu d’origine, à Sorrente où il est né, à Ferrare où il connut tour à tour les douceurs de la vie et des grandes espérances et l’ivresse sombre du malheur, à Rome où il allait chercher des honneurs triomphaux et où il trouva des religieux hiéronymites pour lui fermer les yeux.

Si les morts sont sensibles aux hommages qu’on leur rend, son ombre a été contente. On lui a témoigné que sa gloire n’avait point pâli, qu’il s’était acquis par ses œuvres comme par ses souffrances une renommée impérissable. Et qui la méritait plus que lui ? Il est du nombre de ces poètes qu’on peut appeler délicieux. En vain, de son vivant déjà, quelques puristes toscans s’étaient plaints que ce Bergamasque né près de Naples ne châtiât pas assez son style, que ses vers abondassent en lombardismes, en latinismes. On lui reprochait des impropriétés de termes et des tours vicieux, une certaine pauvreté de langue qui le condamnait aux répétitions, un goût excessif pour les concetti, pour les