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prête non pas tant à une compagnie, organisation financière complexe dont le crédit est sujet à des fluctuations, mais à une ligne de chemin de fer donnée, dont on connaît la valeur intrinsèque et la productivité annuelle. Extensions exagérées ou spéculations malheureuses, rien n’affectera cette garantie spéciale. Personne ne peut dénouer le lien qui attache la créance hypothécaire à la ligne hypothéquée, et comme ce lien prime tous les autres, tant que le gage reste « adéquat, » c’est-à-dire tant que la ligne est maintenue en bon état et que sa productivité n’est pas atteinte, le prêteur n’aura pas à se préoccuper de la situation générale de la compagnie. C’est pourquoi on peut trouver chez des compagnies tombées en faillite des emprunts hypothécaires qui présentent une sécurité de premier ordre et sont quelquefois particulièrement recherchées comme valeurs de placement par les Américains.

« Le régime des chemins de fer aux États-Unis est, par ses qualités et ses défauts, essentiellement caractéristique de la nation américaine. » Ainsi parle M. C.-F. Adams[1], l’un des économistes qui ont fait avec le plus d’autorité la critique du système. En effet, jamais ouvrier ne s’est mieux fait connaître dans une œuvre. Cette admirable force d’initiative de l’Américain, cette énergie débordante de création qui fait la valeur et l’honneur de l’individu, rien ne les met mieux en relief que le développement vraiment merveilleux et aujourd’hui la puissance colossale des chemins de fer en Amérique. Les excès du régime sont ceux mêmes de cet esprit d’entreprise, qui dans le risque voit toujours le gain futur plutôt que la perte possible, et dont l’abus devient témérité, violence, spéculation. Dans chaque compagnie, la constitution du pouvoir dirigeant, l’esprit et la forme de la gestion intérieure, font bien ressortir la fécondité des ressources pratiques chez l’Américain, l’indépendance des méthodes et des formes préconçues, l’adaptabilité aux conditions nouvelles ou spéciales. Quant au régime de la liberté et de la concurrence dans l’industrie des transports, nous y trouvons le meilleur témoignage de la prédominance constante de l’effort individuel sur l’action publique aux États-Unis.


LOUIS PAUL-DUBOIS.

  1. Railroads: their origin and their problem.