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à des secousses violentes, et se continuera pendant de longues années au delà même du jour où le réseau américain aura gagné son point de maturité. Un temps viendra sans doute où, les grandes lignes du Pacifique ayant opéré d’une manière ou d’une autre leur fusion avec les Trunk lines de l’est, le réseau entier se trouvera partagé en huit ou dix systèmes embrassant l’ensemble du territoire des États-Unis.

La formation des grands réseaux n’a pas supprimé la concurrence, mais l’a seulement transportée sur un autre terrain; purement locale et dispersive quand ces réseaux eux-mêmes étaient encore courts et très fragmentés, celle-ci s’est peu à peu concentrée sur les routes importantes du commerce et faite plus ardue que jamais entre les grandes compagnies maintenant plus résistantes. Les compétiteurs étant devenus moins nombreux, on se demanda dès lors si l’entente commune n’était pas chose possible, et effectivement, vers 1876, les compagnies cherchèrent à remplacer la concurrence dans l’exploitation par l’association dans le trafic : les premiers pools se constituèrent. Les pools, qui fonctionnent depuis longtemps en Grande-Bretagne sous le nom de joint purse system, sont des associations par lesquelles les compagnies concurrentes se répartissent le trafic à l’amiable, déterminent d’un commun accord les tarifs à percevoir, et s’engagent à se tenir réciproquement compte des trop-perçus le cas échéant ; ce sont des syndicats ne reposant que sur la bonne volonté des parties contractantes. Effectivement, dans le Royaume-Uni, l’association a tué la concurrence en matière de chemins de fer, elle règne sans conteste sur tout le territoire, justifiant la vérité de l’axiome formulé par George Stephenson à l’origine même des voies ferrées : « Là où la coalition est possible, la concurrence est impossible. » Or aux Etats-Unis les tentatives d’association ont donné en fin de compte des résultats tout différens : dans la lutte engagée entre les deux grands principes de l’activité industrielle, la concurrence est restée victorieuse, mais l’association tend du moins avec un certain avantage à en réprimer les excès.

Les premiers pools qui se formèrent en Amérique, la Southern railroad and steamship association et le pool des Trunk lines, mirent tout de suite en lumière le principal défaut de ces arrangemens fondés sur le consentement mutuel, qui est l’instabilité. On s’aperçut bien vite que des remaniemens constans étaient nécessaires, et souvent les difficultés ne se pouvaient trancher que par des guerres de tarifs d’autant plus terribles que l’alliance avait été plus étroite et plus longue entre les anciens rivaux. Puis le nouveau régime donna lieu à des abus : les compagnies cherchèrent à tirer parti de la force d’association pour rehausser