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malgré tous les obstacles, rendant sans cesse plus féconde l’activité qu’elles desservent. De New-York à Chicago, neuf compagnies principales se disputent le trafic des voyageurs, et les visiteurs de la World’s columbian Exhibition ont déjà dit par quel luxe de confort et de mauvais goût elles attirent la clientèle. Les commerçans choisissent entre vingt routes pour leurs expéditions entre les grands ports de l’Atlantique et la capitale de l’Illinois ; deux de ces lignes portent une quadruple voie sur la moitié de leur longueur, et le mouvement de marchandises du Pennsylvania railroad est près de quatre fois supérieur à celui de notre réseau du Nord. Le capital des compagnies représente le dixième de la fortune totale de la nation.

Les progrès merveilleux réalisés par l’industrie des transports aux États-Unis s’expliquent par le rôle essentiel que les chemins de fer ont joué dans le développement du territoire, et par l’influence prépondérante qu’ils exercent dans la vie économique du pays. Ces conditions et cette importance toutes spéciales sont assez bien mises en relief par la très grande part d’intérêt qu’attachent aux railroad matters les journaux et le gros public ; elles ne semblent pas avoir été toujours appréciées à leur valeur par nos voisins d’outre-Manche, grands contempteurs des yankee rails par orgueil de leurs home rails. En Amérique, le chemin de fer est le premier et le principal facteur du travail de la colonisation : pour ouvrir un territoire nouveau, on commence par y jeter une voie ferrée, le colon vient ensuite, il occupe et met en valeur les terres riveraines, et l’élément de trafic qu’il apporte à la ligne paie la compagnie du service qu’elle lui a rendu. C’est donc véritablement le chemin de fer qui crée le pays, et c’est bien à lui que les Américains doivent le succès prodigieux de leur développement national. Ils lui doivent autre chose encore. Dans ces territoires immenses où les richesses naturelles sont si variées, les progrès de l’industrie des transports ont permis d’assurer dans chaque région le maximum d’utilisation de ses forces propres, et de localiser chaque nature de production là où elle rencontre les conditions les plus favorables. Ainsi chaque État a sa spécialité économique : le Minnesota est l’État du blé, l’Iowa le pays du maïs, le Nebraska fait de la viande. Nulle part la distance entre le producteur et le consommateur n’est plus grande, nulle part la question des prix de transport n’a un intérêt plus général, nulle part le commerce intérieur n’est plus étroitement sous la dépendance des chemins de fer. Le développement extraordinaire des chemins de fer américains depuis un demi-siècle est, à la vérité, moins remarquable que ne l’est à l’heure actuelle l’empire colossal de leur puissance économique et financière.