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du Coran, règne à mi-hauteur tout autour de la draperie. Chaque année, une kessoua neuve est fabriquée au Caire, aux frais du Sultan de Stamboul. On considère comme un acte de souveraineté le droit de donner le voile sacré. En 1893, la seule fourniture de la soie a été adjugée au prix de 1 200 livres égyptiennes, soit 32 100 francs. La caravane dite « caravane du Tapis » l’apporte solennellement à la Mecque. L’ancienne kessoua appartient au grand chérif, qui garde l’or des broderies et découpe l’étoffe en lambeaux pour les distribuer en partie aux grands personnages de l’Islam ; le reste se vend jusqu’à 40 et 50 francs le pied carré aux pèlerins, qui l’emportent précieusement pour leurs parens et leurs amis, et en font des amulettes douées de mille propriétés merveilleuses.

Le long des quatre côtés de la Kaaba s’étend une gouttière d’or, qui reçoit l’eau du ciel. La porte de l’oratoire est à une certaine hauteur du sol. On y atteint par deux escaliers mobiles, à roulettes, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Ce dernier est en argent massif. Ils ont été donnés par des princes indiens. L’ornementation de l’intérieur était déjà très riche, dès les temps les plus reculés, ainsi que l’atteste la description qu’en a donnée Nassiri Kosran dans sa relation d’un voyage en Palestine et en Arabie, en 1035 de l’ère chrétienne. Le chef de la mosquée se nomme le neib-el-haram (délégué au sanctuaire), il a la garde des clefs de la Kaaba. Sous ses ordres est placé l’agha-el-toueshia, chef des eunuques. C’est en effet un ancien usage de faire garder la mosquée par des eunuques soudanais. Ils sont au nombre de cinquante. Ils portent des turbans blancs serrés par une ceinture de cuir, et tiennent à la main un long bâton blanc. Outre leurs revenus fixes, ces sacristains font commerce de prières, d’eau de Zemzem, de linceuls incombustibles, de chapelets, de morceaux de la kessoua, d’images de sainteté et d’amulettes portant inscrits des versets du Coran. Avant de quitter la Mecque, les hadjis revoient une dernière fois la Kaaba « semblable à une fiancée que l’on vient de parer d’une tunique resplendissante. »

Une des cérémonies du pèlerinage, le Sai, consiste dans le trajet effectué, à une allure très rapide, d’une colline appelée Cafa à une autre colline appelée Merwa, distantes de plus de 400 mètres. Ce trajet doit être accompli sept fois en priant à haute voix, et au milieu d’une bousculade générale. C’est l’image de l’agitation d’Agar, désespérée de voir Ismaël mourir de soif. On peut encore gagner de grandes indulgences en faisant sept fois chaque jour le tour de la Kaaba : Burton a vu des malades, et