être à renouveler le combat. Comme il ne voit le passé qu'en perspective, et à travers les périodes qui le séparent du présent, il n'en a jamais qu'une image réfractée et probablement déformée. La complexité des faits historiques est aussi une cause de difficultés presque insolubles. S'il est malaisé aux contemporains de comprendre ce qui se passe sous leurs yeux, faute de recul pour apercevoir l'ensemble, il manque à l'historien qui vient plus tard d'avoir vu les événemens qu'il raconte. Chez lui, comme chez le biologiste, l'extraordinaire richesse de la réalité qu'il étudie, et dont il poursuit le détail à la loupe, confond et souvent écrase l'imagination. À plus forte raison se défiera-t-il des audaces de la pensée spéculative, et les régions sublimes où s'aventure le métaphysicien lui paraîtront le vide absolu.
De même, rien ne détourne mieux de la méthode déductive a priori que la pratique de l'histoire. En effet, comme Littré s'est amusé à le faire voir, ce qui arrive, en l'ait, dans l'histoire, est presque toujours le contraire, de ce qui, a priori, aurait dû arriver. Que de surprises pour l'homme d'État le plus clairvoyant, s'il revenait au monde cinquante ans seulement après sa mort ! Sans doute l'historien, qui dispose à loisir de ce qu'il appelle les causes et les effets, n'est pas embarrassé de rattacher les unes aux autres. Il démontre, à grand renfort de textes, que l'empire romain a dû succomber aux invasions barbares ; que Luther a dû tenir tête victorieusement à la cour de Rome ; que l’Angleterre a dû acquérir un immense empire colonial, et qu'il ne pouvait en être autrement. Mais comment établit-il sa démonstration ? Toujours par des argumens de l'ait : par l'interprétation psychologique des besoins, des sentimens, des passions d'un peuple à un moment donné, par l'étude des conditions économiques, politiques, religieuses où ce peuple se trouvait : en un mot, par la recherche des causes secondes. C'est là qu'il déploie ses qualités de finesse et de pénétration, sa vigueur logique, sa connaissance de l'âme humaine. Si, au lieu de se borner à la connexion des faits historiques, il cherchait à les interpréter dans leur ensemble, à l'aide d'une idée supérieure, il entrerait dans ce qu'on appelait autrefois la philosophie de l'histoire, c'est-à-dire, il cesserait d'être historien pour faire œuvre de philosophe. Autrefois, disons-nous : car la philosophie de l'histoire , fort en honneur au commencement du siècle, est aujourd'hui tout à fait négligée. Elle a cédé la place à la sociologie, qui en diffère complètement, sinon par son objet, du moins par sa méthode, et qui prétend au titre de science positive. La philosophie de l'histoire a partagé le sort de