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ce qui est « prouvé ». Tel est aussi le point de vue du métaphysicien. On sait que Spinoza, pour prendre l'exemple le plus célèbre, a conçu la forme de sa science sur le type de la mathématique. Il a voulu procéder par axiomes, définitions et théorèmes. La vérité d'observation n'a pas de valeur pour lui, du moins tant qu'elle n'entre pas dans l'enchaînement de ses déductions. La psychologie empirique des Anglais n'est à ses yeux qu'une collection d'anecdotes ; il la traite dédaigneusement d' « historiole » de l'âme. Et quand lui-même étudiera les sentimens et les passions des hommes, il le fera « comme s'il s'agissait de lignes, de plans et de solides. » La grande différence entre les mathématiques et la métaphysique consiste en ceci, que les mathématiques, se donnant leur objet, en sont en quelque façon maîtresses, au lieu que la métaphysique se trouve en présence du réel, mystérieux, décevant, et peut-être incompréhensible. De là la fortune si diverse de ces deux sciences, qui ne doit pas nous dissimuler l'analogie foncière de leurs méthodes. Et si quelque renaissance métaphysique se produisait bientôt, je ne serais pas surpris que les premiers symptômes se fissent sentir d'abord sous la forme de spéculations suggérées par les mathématiques. L'antique lien de parenté s'est relâché, mais il n'est pas rompu.

Tout autres sont l'esprit et la méthode des sciences biologiques et historiques. Ici le fait est souverain : il ne s'agit plus de déduire a priori, mais d'observer et d'expérimenter. Sans doute la spontanéité propre de l'esprit y a encore un rôle, et un rôle capital. Dans ces sciences comme dans les autres, point'de découverte sans une part de divination. Ce n'est pas le moindre titre de gloire de Claude Bernard que d'avoir montré, dans son Introduction à l'Étude de la Médecine expérimentale, qu'avant de constater une vérité nouvelle, l'esprit l'a toujours pressentie. Toute expérience n'est, au fond, qu'une vérification. C'est le contrôle d'une réponse que l'esprit s'était faite à lui-même par avance. Pareillement, la connaissance des documens n'est pas le tout de l'histoire. Un historien d'imagination plate et sans vigueur logique ne tirera des documens les mieux établis et des sources les plus riches qu'une œuvre médiocre comme lui-même, et d'une exactitude littérale presque fausse par manque de pénétration. Mais enfin, ces réserves faites, ni l'histoire ne s'invente, ni la biologie ne se construit a priori. En ces ordres de sciences, le fait décide en dernier ressort. Seul il a qualité pour décider entre les hypothèses : pour les exclure, fausses, et vraies, les confirmer.

Mais que de fois, dans ces sciences, le « fait » lui-même est dif-