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nasse Contemporain, le Rêve du jaguar, la Vérandah, les Larmes de l’Ours, le Cœur de Hialmar, et plus tard, en 1869, Qaïn. La Revue de Paris d’août 1854 publiait le Runoïa ; et la République des Lettres des années 1875-1876, à côté de l’Assommoir de M. Zola et des premiers sonnets de M. de Heredia, offrait à ses lecteurs presque tous les Poèmes tragiques, alors inédits. Il serait difficile d’indiquer dans quel ordre le reste de l’œuvre a été composé, et peu d’intérêt, d’ailleurs, s’y attache. Très vite, le maître était arrivé à un degré de perfection presque absolue, et on peut dire que sa pensée elle-même n’évolua guère. Toute sa vie, le poète resta fidèle à ses souvenirs, à l’idéal de sa jeunesse ; il voulait ignorer tout ce qui se transformait autour de lui ; et ce ne fut que sur la fin de ses jours qu’il eut la sensation de l’isolement où ce parti pris l’avait muré. Les égards dont il était l’objet de la part des écrivains de la nouvelle école lui avaient fait longtemps illusion sur sa pensée et sur le monde.

M. Catulle Mendès a conté, dans son Parnasse contemporain, l’histoire des soirées exquises passées boulevard des Invalides, dans ce petit salon du cinquième étage où tous les poètes venaient, les samedis soirs, dire leurs projets, apporter leurs vers nouveaux, solliciter le jugement des émules et l’approbation de leur grand ami : « Je ne dirai pas les souriantes douceurs d’une familiarité dont nous étions si fiers, les cordialités de camarade qu’avait pour nous le grand poète, ni les bavardages au coin du feu, — car on était très sérieux, mais on était très gai, — ni toute la belle humeur presque enfantine de nos paisibles consciences d’artistes, dans le cher salon peu luxueux, mais si net, et toujours en ordre comme une strophe bien composée, pendant que la présence d’une jeune femme, au milieu de notre respect ami, ajoutait sa grâce à la poésie éparse. » Cette affection fidèle, indiquée d’une touche si discrète dans les lignes précédentes, serait effarouchée si nous insistions davantage, — et cependant ceux qui ont été admis dans l’intimité du maître savent qu’il trouvait en elle une admiration délicate, un conseil toujours écouté.

Plus tard, sous les ombrages du Luxembourg, au boulevard Saint-Michel, où Leconte de Lisle habitait en qualité de bibliothécaire du Sénat, une seconde génération de poètes entourait le maître. Le cercle s’était agrandi et renouvelé, sans que la piété filiale d’aucun eût été atteinte : le vicomte de Guerne, Paul Bourget, Pierre de Nolhac, Haraucourt, H. de Régnier, Robert de Montesquiou, Edmond Rostand, les derniers arrivés, ne lui étaient pas les moins chers ; ses conseils ne leur firent jamais défaut. Parce qu’il les aimait, parce qu’il était un esprit sincère, souvent il lui