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de qui s’occupe des questions ouvrières. La Compagnie de l’Ouest, par exemple, dépense de ce chef 4 millions, la Compagnie du Nord 5 millions, la Compagnie de Lyon une douzaine de millions ; et pendant que le dividende des actionnaires baisse ou demeure stationnaire, ces allocations au personnel vont sans cesse grossissant. Il en est de même des Sociétés minières; on calcule que plus de la moitié de leurs bénéfices passe aux institutions de secours pour les mineurs. Il me faudrait des pages, ou mieux des volumes, pour relater ce que ces compagnies tant vilipendées et cette « oligarchie industrielle sans entrailles » ont accompli, depuis quelque vingt-cinq ans, en faveur de leur personnel, se préoccupant tour à tour de sa nourriture, de son logement, de sa santé, de sa vieillesse; veillant, de plus en plus, à son bien-être matériel et moral, à la salubrité et à l’hygiène de l’usine; fondant, de leurs deniers, pour l’ouvrier et pour sa famille, des écoles, des crèches, des ouvroirs, des églises, en même temps que des caisses de retraite, des économats, des magasins alimentaires, des cuisines coopératives, jusqu’à des cercles, des bibliothèques, des fanfares ou des orphéons. Et si, pour beaucoup de ces institutions, on demande à l’ouvrier une participation personnelle, une cotisation minime, je ne suppose pas qu’on en puisse faire un reproche aux hommes qui veulent que le relèvement de l’ouvrier ait pour base l’effort personnel. Il ne faut pas confondre le devoir social avec la charité.

Nous avons, aujourd’hui, dans toutes nos expositions nationales, une section d’économie sociale[1]. J’ai eu l’honneur d’être membre du jury de la section sociale de l’Exposition de 1889; j’aurais voulu la faire visiter à tous les socialistes et à tous les détracteurs du capital. ils y auraient vu, de leurs yeux, s’il est vrai que le capital reste indifférent aux maux du travail. Or, par qui ont été moissonnées la plupart des gratuites couronnes de cette exposition sociale, plus glorieuses à nos yeux que tous les lauriers attribués aux procédés de fabrication et aux inventions techniques[2] ? Par des compagnies, des sociétés par

  1. Le lecteur n’a pas oublié qu’il s’est formé récemment, chez nous, en France, plusieurs expositions sociales permanentes, autrement dit plusieurs musées sociaux. L’un a été institué par le ministère du Commerce en 1893, grâce à M. J. Siegfried, au Conservatoire des arts et métiers; un autre, plus important et mieux doté, a été fondé, en 1894, par M. le comte de Chambrun, dans un vaste immeuble (rue Las Cases). L’inauguration a eu lieu en mars dernier.
  2. Voyez les différens rapports de la section d’Économie sociale à l’Exposition universelle de 1889, en particulier celui de M. Léon Say, rapporteur général (1891), celui de M. Cheysson sur les Institutions patronales (1892), celui de M. G. Picot sur les Habitations ouvrières. Pour nos voisins de Belgique, on peut consulter le Mémoire sur la situation de l’industrie en Belgique et sur la question ouvrière, adopté par l’Assemblée générale des patrons catholiques; Société belge de librairie, Bruxelles, 1894, p. 101-113.