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par omission envers l’économie politique, comme envers les capitalistes. Et si, à cet égard, les conseils des moralistes et des hommes de science n’ont pas été mieux suivis, c’est que, individuel ou social, pour faire pratiquer le devoir, il ne suffit pas de maîtres qui l’enseignent.

Cette longue et lente prédication du devoir social n’a cependant pas été stérile. Les notions nouvelles ont peu à peu pénétré dans les dures cervelles des hommes d’affaires, et les sociétés par actions ont été des premières à les appliquer. Il en est bien peu, en France, qui se désintéressent du sort de leur personnel d’ouvriers ou d’employés. Grands manufacturiers et grandes compagnies ne croient plus que leur mission se borne à extraire de la houille, à fabriquer de la fonte et de l’acier, à tisser de la laine ou du coton, sans s’inquiéter des bras de chair qui font mouvoir métiers et machines. Les chefs d’industrie et les conseils d’administration ne dédaignent plus de s’occuper de l’ouvrier, de son bien-être, de son avenir, de son foyer, de sa famille, de ses enfans.

Règle générale, plus riches sont les patrons, plus puissantes sont les sociétés, et plus nombreuses et plus généreuses sont les marques de leur sollicitude pour leur personnel. Ici encore[1], à l’encontre de bien des préjugés, les ouvriers de la grande industrie et les employés du grand commerce sont, d’habitude, les favorisés. Ce sont, à vrai dire, les privilégiés de la classe ouvrière, et cela non seulement quant à l’élévation des salaires et à la fixité du travail, mais aussi et surtout quant aux œuvres sociales, aux institutions de prévoyance. Et ouvriers et petits employés le sentent bien ; c’est pour cela que, en dépit de toutes les déclamations et de tous les prétendus griefs contre les grandes sociétés, il y a partout une telle affluence de demandes pour entrer à leur service. Si le commis ou l’ouvrier des grandes compagnies n’a pas, comme celui des petits ateliers ou des petits magasins, l’avantage du contact direct, personnel, avec le patron, il a, en revanche, le secours de toutes les institutions d’assistance et d’économie sociale établies, à son profit, par l’ingénieuse humanité des patrons de la grande industrie.

Que les sociétés par actions, les grandes compagnies en tête, soient largement entrées dans cette voie, c’est un fait bien connu

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1894, le Capitalisme et la Féodalité industrielle et financière.