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et l’Autriche sera forcée de ratifier la cession. Par suite, on pourra l’expulser de l’Italie. De ce côté donc, plus de complaisances. Les Directeurs, qui redoutent tout de Bonaparte, estiment cependant que tout est possible par lui, ne comprenant point que plus ils lui demandent, plus ils le grandissent, et que plus ils obtiennent de lui, plus ils abdiquent entre ses mains. Ils ne ratifieront pas le traité avec le Piémont : à quoi bon les 10 000 Piémontais puisqu’on aura les Prussiens et que l’Autriche sera, par les nouveaux exploits de Bonaparte, réduite à merci ? Le royaume de Piémont subira une révolution ; il n’appartient pas à la France de l’en garantir. « Le Piémont deviendra ce qu’il pourra, entre la France et l’Italie, l’une et l’autre libres… » Bonaparte dit qu’il a besoin d’hommes ; à défaut des 10 000 Piémontais réguliers que promettait le traité, il embauchera des Piémontais irréguliers !… Quant à la paix avec l’empereur, le Directoire veut la limite du Rhin ; il veut l’expulsion totale des Autrichiens de l’Italie ; il veut que l’empereur évacue Raguse, renonce à Venise et se contente de l’Istrie et de la Dalmatie, auxquelles on joindra, au besoin, des terres allemandes, l’évêché de Salzbourg et l’évêché de Passau. Le Directoire le veut, mais il sait qu’il ne le peut pas. C’est pourquoi Talleyrand, qui expédie, le 15 septembre, ces ordres belliqueux,) ajoute cette réserve qui en contient tout l’esprit : « Tel serait l’ultimatum du Directoire, si toutefois vous êtes en mesure de soutenir la proposition. Sinon, vous marquerez au gouvernement ce que vous pouvez tirer de la négociation. Vous avez carte blanche… »

Pour faciliter les choses et mettre Thugut à la question, le Directoire recourt encore une fois au procédé de « chantage », déjà tenté vainement par le maître drôle Poterat, en 1795 et en 1796, par Clarke en 1796 et en 1797 : si Thugut persiste à refuser la paix, on divulguera, partout, dans les journaux, le secret de ses affiliations avec la France, de ses pensions sur la cassette, et on le dénoncera comme s’étant vendu à l’Angleterre après s’être vendu à Louis XV. Cette insinuation, écrit Talleyrand le 17 septembre, est portée par un « exprès de confiance. » Cet exprès était, vraisemblablement, le citoyen Bottot, secrétaire intime de Barras et son âme damnée, que le Directoire dépêcha le même jour en Italie pour observer les dispositions de l’armée et celles du général, s’expliquer avec Bonaparte, dissiper ses préventions, le surveiller en un mot, le gagner s’il était possible, et rapporter, soit un pacte d’alliance, soit des chefs d’accusation.

Toutes ces combinaisons reposent sur deux hypothèses : l’alliance prussienne, or les Prussiens la déclinent ; la marche