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réglant l’affaire du Rhin. Ce fut au tour des Allemands de résister. Merveldt objecta ses instructions. « Si vos instructions portaient qu’il fait nuit actuellement, s’écria Bonaparte, vous nous le diriez donc ! » Alors ils découvrirent leur jeu et réclamèrent, pour leur maître, les trois Légations, Mantoue, Venise et toute la terre ferme. « A combien de lieues votre armée se trouve-t-elle de Paris ? » leur répondit Bonaparte. Ils répliquèrent en lui demandant ce qu’il pensait de cette armée. « Vos propositions, répliqua-t-il, signifient que l’empereur veut se faire couronner roi de Rome ; je vous assure que quinze jours après l’ouverture de la campagne, je serai à Vienne et, à mon approche, le peuple, qui a a déjà cassé, la première fois, les glaces de M. Thugut, cette fois-ci le pendra. » Il demanda des renforts à Paris et donna ostensiblement des ordres de marche pour le 23 septembre. Cette conférence avait eu lieu le 5. La veille (18 fructidor), le coup d’Etat s’était accompli à Paris. Bonaparte en fut informé le 12 septembre ; il en effraya les Autrichiens, qui s’adoucirent aussitôt. On convint que, si l’empereur reconnaissait à la République les limites constitutionnelles, avec Mayence et une partie de la rive gauche du Rhin, il aurait Venise et la terre ferme jusqu’à l’Adige. Les Autrichiens demandèrent à consulter leur cour, et Merveldt partit pour Vienne.

Les journaux et les lettres de Paris confirmèrent les pronostics de Bonaparte. Talleyrand lui écrivit, le 6 septembre : « Paris est calme, la conduite d’Augereau parfaite, on voit qu’il a été à bonne école… On est sorti un instant de la constitution, on y est rentré, j’espère pour toujours. » C’était la vérité officielle. En réalité, la place était nettoyée des brouillons royalistes ; mais c’était pour s’encombrer des brouillons jacobins, et au point de vue où se plaçait Talleyrand, tout serait bientôt à recommencer. Ce n’était pas le coup d’Etat de Bonaparte. Le général s’applaudit d’y avoir employé un comparse, et d’y voir Hoche compromis. Les suites lui parurent à la fois impolitiques et dangereuses. Après avoir écrasé les royalistes, le Directoire proscrivait les modérés et recommençait à persécuter le clergé. Ces mesures inintelligentes devaient révolter, tôt ou tard, l’opinion et produire une explosion de mécontentement plus grave encore que celle du dernier printemps. En attendant, les Directeurs gouvernent par les seuls moyens à leur portée : la guerre de réquisitions au dehors, la terreur sournoise au dedans, c’est-à-dire les moyens de la Révolution, sans les nécessités de la Révolution, sans l’invasion à repousser, l’intégrité de la France à défendre, l’unité nationale à sauver.