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payer plus cher la cession de la rive gauche. Consentir cette cession sera, en effet, pour l’empereur une sorte de parjure, l’honneur y sera engagé, et le préjudice que souffrira la vieille réputation de loyauté de la cour de Vienne ne pourra être compensé que par beaucoup de terres, peuplées de beaucoup d’hommes. Thugut d’ailleurs préférait, toujours comme le Directoire, ne rien donner, tout reprendre et y ajouter Venise. Il n’en désespère pas. Que le parti « des anciennes limites » triomphe à Paris, c’est la paix immédiate, et, après cette paix, un gouvernement paralysé par les factions, sans gloire, sans prestige, une Pologne démocratique ; Bonaparte sera désavoué, destitué, abandonné tout au moins, et, enfin, Bonaparte n’est pas invincible. La pensée de derrière la tête, qui sera la pensée permanente de l’Autriche, après tous les traités : Campo-Formio, Lunéville, Presbourg, Vienne ; qu’elle n’n’abandonnera jamais ; et quelle réalisera en 1814, se fait jour à ce lendemain de Leoben. Le comte Cobenzl écrit de Pétersbourg, à Thugut, le 4 mai : « D’après la manière dont on nous représente la position actuelle des Français et les énormes armemens qui se font chez nous, on devrait les croire perdus, si on ne diffère pas à les attaquer. Un succès bien complet contre Bonaparte, si on en profite, pourrait avoir de grandes suites, vu le peu de monde qu’il doit avoir laissé en Italie, et alors il ne devrait plus être impossible de faire directement la paix, sans que la monarchie perde rien de ses anciennes possessions, ou en recevant des équivalens plus à notre portée pour les Pays-Bas, si leur restitution est impossible. » C’est bien l’avis de Thugut ; mais pour atteindre ce grand objet, il faudrait l’aide de l’Europe, Or le tsar Paul ne veut entendre parler ni de subsides ni de corps auxiliaire ; les Anglais semblent vouloir faire une trêve, et d’ailleurs en négociant avec eux, on risque de traiter sur le pied du statu quo ante : les Français dans leurs anciennes limites, les Autrichiens avec leurs Pays-Bas ; ni troc de Bavière, ni partage de Venise. D’autre part, les belliqueux peuvent l’emporter à Paris ; Bonaparte peut continuer son jeu de hasards et de surprises victorieuses ; qu’on le laisse faire, il révolutionnera l’Italie, il annexera les Légations, Venise même, ou, s’il la donne, il ne la livrera que dépouillée et, qui pis est, démocratisée. Dans cette hypothèse, si la France exige, en tout ou en partie, la rive gauche du Rhin, l’Autriche veut en être payée en Italie : il convient donc de protester contre la réunion des Légations à la Cispadane, d’occuper Raguse et tout ce qu’on pourra le long de l’Adriatique, de s’armer et d’attendre, de pied ferme, en se nantissant, les événemens de Paris.

Gallo et Merveldt arrivèrent à Udine le 10 août ; Clarke s’y