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y était résigné, en cas de nécessité absolue. Dans ce cas, il eût été déloyal de promettre à ces peuples une indépendance qu’on n’était pas sûr de leur garantir ; il eût été coupable de les exposer à des vengeances en cas de retour de leurs anciens maîtres. D’autre part on ne pouvait les laisser dans une anarchie aussi fâcheuse pour eux que nuisible à la rentrée des contributions et réquisitions dont vivait l’armée française. Il était donc opportun de leur donner une organisation au moins provisoire. Cette organisation aurait, en outre, l’avantage de former des cadres de nation et d’Etat pour le cas où les Italiens, rendus ou cédés à l’Autriche, refuseraient de se soumettre et « réuniraient leurs efforts pour se soustraire au joug » de l’empereur. Larevellière essaya de concilier toutes ces vues et dressa un projet d’instructions à Bonaparte, qui fut approuvé, le 7 avril, par les Directeurs.

Ces instructions sont curieuses à un double titre : elles conseillent précisément à Bonaparte ce que, dans l’intérêt de son proconsulat italien, il jugeait utile d’accomplir ; elles ouvrent, par contre-coup, des aperçus sur les idées des Directeurs, en matière de liberté politique et de gouvernement. Le régime auquel les instructions du 7 avril proposent de soumettre l’Italie annonce celui auquel Bonaparte, après le 18 brumaire, soumettra la République française. « Le Directoire croit, comme vous, qu’il ne faut pas laisser les assemblées primaires se réunir. » Une constitution calquée sur la nôtre conviendrait à ces peuples, à condition de restreindre, en matière de finances, les prérogatives du Corps législatif ; mais il n’y aurait pas lieu de faire élire ce corps législatif avant le départ des troupes françaises ; dans tous les cas, il importera de restreindre le nombre des députés. « Quelque grand que soit un État, un conseil de 120 personnes et un autre de 60, feront tout aussi vite et tout aussi bien les lois, et même beaucoup mieux que des corps plus nombreux. » Elles seront mieux faites encore et plus vite sans députés. « Notre propre exemple nous apprend combien il est funeste d’attendre tout cela (la réforme des lois et des impôts) d’un nouveau Corps législatif qui, par mille causes diverses, se traîne pendant un temps considérable dans la carrière législative, et surtout des finances, avant d’y marcher, et laisse, pendant de longues années, un gouvernement naissant dans le marasme, et toujours en danger de périr. » Donc, point de constitution, des règlemens « que vous publierez toujours comme général en chef… La volonté législative, tant que nous occuperons le pays militairement, ne doit être [1]

  1. Voir la Revue du 1er avril.