Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous finirions par en bénéficier. Que de richesses encore inexplorées, ou du moins inexploitées, sont contenues, par exemple, dans le Yunnan ! Si nous avons profité de l’épreuve que vient de traverser le Céleste-Empire pour régler quelques-unes des questions restées pendantes avec lui, aller plus loin serait dépasser la mesure. La Chine n’est pas d’humeur reconnaissante, il y aurait sans doute duperie à compter sur sa gratitude ; mais elle est certainement d’humeur vindicative, et ce serait de notre part une faute que d’ajouter inutilement un coup de plus à tous ceux qu’elle vient de recevoir. On a parlé d’une alliance offensive et défensive entre la Chine et le Japon. Le fait a été aussitôt démenti, et peut-être est-il en effet actuellement inexact ; mais peut-être aussi n’y a-t-il pas de fumée sans feu. Qui sait si l’idée encore un peu vague et flottante d’un accord contre l’Europe des deux puissances asiatiques qui viennent de lutter l’une contre l’autre ne se réalisera pas, dans un délai plus ou moins prochain? On la désavoue pour le moment, parce qu’elle effraye, et que la politique du Japon, très habile et très souple, consiste à rassurer quand même et à tout prix. Mais si un jour la Chine, réorganisée et disciplinée par l’influence japonaise, prend conscience de sa force et en use contre l’Europe, qui pourrait dire les conséquences dernières de ce réveil? L’océan humain qui dort lourdement dans l’immensité de l’Asie renferme bien des tempêtes en puissance, que le siècle prochain verra se déchaîner en action. Les philosophes disent volontiers qu’il ne sert de rien de s’opposer aux fatalités de l’histoire : les politiques, un peu plus sceptiques sur la rapidité avec laquelle les causes produisent leurs effets lorsqu’on n’y aide pas, les uns par violence, les autres par faiblesse, au risque d’être accusés de vivre au jour le jour ne dédaignent pas les jours gagnés, ne fût-ce que parce qu’ils permettent, s’ils sont bien employés, de mieux préparer les solutions inévitables. Malgré notre sympathie pour le Japon, il nous est impossible de voir ce que la France gagnerait à son établissement définitif sur un point important du continent jaune. Tout au plus pourrait-on dire que nous n’avons personnellement rien à y perdre ; mais ceux qui le disent en sont-ils bien sûrs?

Un diplomate allemand, après avoir passé trente années à Pékin où il avait su se faire une situation personnelle très considérable et presque prépondérante, M. de Brandt, aujourd’hui à la retraite, a publié dans ces derniers mois, avec une prodigieuse ardeur de propagande, un grand nombre d’articles et de brochures sur la question sino-japonaise. Il a contribué, pour sa part, au mouvement d’opinion qui a permis au gouvernement impérial de prendre l’attitude qu’il a prise, et qui était à quelques égards imprévue. D’autres motifs, sur lesquels il y aura lieu de revenir, ont déterminé d’une manière plus puissante encore les résolutions de l’empereur Guillaume : nous ne parlons