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« De Pindare? — Oui, Bellay; l’heure est proche où les dieux
Vont renaître : le sol de nos grossiers aïeux
Poussera vers le ciel des lauriers et des marbres.
Ecoutez-les chanter dans l’écorce des arbres,
Ces dieux, et dans le vent qui passe, dans les prés,
Les sources, les jardins, les couchans diaprés,
Et dans la majesté sereine de la Loire !
Le grand Pan n’est pas mort! mais pour sonner sa gloire,
Et pour mieux égaler les Grecs et les Romains,
La flûte de Marot éclate dans nos mains,
Et rien ne déplaît tant aux vénérables Muses
Que l’accent enroué des vieilles cornemuses !
Il nous faut enrichir notre parler gaulois,
Soumettre notre rythme à de nouvelles lois,
Imiter Rome ainsi que Rome imite Athènes,
Et neuf fois nous laver aux antiques fontaines !
Suivez-moi dans Paris, du Bellay ! Combattez
Avec nous le troupeau des rimeurs éhontés
Dont la sotte ignorance enchante le vulgaire,
Et soyez le Langey de cette illustre guerre ! »

Mais du Bellay, debout, le front étincelant,
S’écria : « Je serai votre Olivier, Roland ! »

Et sous l’œil ébahi de l’hôtesse ingénue
Que cette vaillantise effraie, il continue
Hardiment, comme on voit la jeunesse des vins
Écumer dans le bois des tonneaux angevins :
« Porte-étendard, héraut, clairon de la victoire,
Frère d’armes, je veux vous suivre dans l’Histoire
Dont Phébus aux crins d’or vous ouvre les battans !
Ah! Ronsard, cette Rome orgueilleuse, où le Temps
De ses meilleures faux fit de vaines quenouilles,
Rome, dont nos autels convoitent les dépouilles,
Rome, sans son Manlie et ses oiseaux criards,
Reverra les Gaulois, ces sublimes pillards!
Qui donc arrêterait nos armes pacifiques?
Oui, nous vous pillerons, ô saints trésors delphiques
Où les coqs de la Gaule ont déjà mis leurs becs !
Nous sèmerons partout ces fameux Gallo-Grecs,
Ces Marseillais diserts dont l’Hercule gallique
Rit d’Apollon muet et de sa flèche oblique !
Et pour mieux triompher des superbes Latins,