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Et que les vents du soir lui chantaient leur antienne.,
Les beaux livres sortis de la main des Estienne,
Comme au soleil d’avril les bois reverdissant,
Faisaient jusqu’à son cœur courir un nouveau sang.
La bonne Antiquité lui tenait lieu de mère :
L’orphelin renaissait avec le vieil Homère.
Mais sans appui, sans guide, il a souvent marché
Au hasard, et son âme est pareille à Psyché
Qui meurt de ne pas voir la beauté qu’elle adore.
Il la soupçonne ainsi qu’au sommet qui se dore
On devine l’éclat du soleil à venir.
Il entendit Pégase au fond du ciel hennir ;
Mais sa douceur modeste et vite effarouchée
Ne tentera jamais si noble chevauchée.
« Non, ce que je voudrais, le désir qui me point,
Ecoutez-moi, Ronsard, et ne me raillez point!
C’est qu’on imitât Rome et qu’on aimât l’Hellade.
Laissons à son rouet l’endormeuse ballade,
Qui file ses fuseaux, chef branlant, œil fané,
Et la chanson boiteuse au hennin suranné,
Qui pousse devant elle un petit âne étique
Et vend des virelais dans son panier gothique !
Oh ! quel magicien rouvrira les beaux yeux
De l’Ode, chaste vierge en route vers les cieux
Et qui dort aujourd’hui sur la voie Appienne?
Pour moi, j’aime à sentir la lyre italienne
S’éveiller lentement sous mes doigts obstinés...
Les sonnets me sont chers que Pétrarque a sonnés. »

Il rougit, mais Ronsard tout radieux se lève
Et l’embrasse, et pendant que leur repas s’achève,
Il dit à son ami si tendrement naïf
La gloire de Dorat, les conseils de Baïf,
Coqueret et leurs nuits de haute solitude,
Et devant sept hivers le flambeau de l’étude
Que chacun d’eux se passe avant de s’endormir.
Et du Bellay ne peut l’écouter sans frémir,
Comme Alexandre au bruit triomphal de son père.
Tant de rare savoir l’émeut, le désespère
Et l’enivre : et Ronsard, mystérieusement,
Lui découvre sa fière espérance, et comment
A force de toucher l’hellénique cithare
Il en a fait jaillir les secrets de Pindare !