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Il entendrait de loin le doux galop d’un lièvre ;
Et d’ailleurs pour surprendre un pas de cavalier
Rien n’est tel qu’une bonne oreille d’hôtelier.
Jeune, élégant, monté sur une jument bLaie
Le cavalier débouche au tournant de la haie.
Les bouvreuils devant lui s’évadent des buissons.
Il saute lestement à terre : les garçons
S’empressent, l’hôtelier salue, et l’hôtelière,
Belle comme un verger dans l’aube familière,
Devient rose, et se sent tout aise d’héberger
Saint Michel sous les traits de ce jeune étranger.
Grand, bien pris, les yeux doux et graves, un nez d’aigle,
La barbe blonde et les cheveux couleur du seigle,
Quand le ciel de juillet a bruni les moissons,
Il porte un front serein et sa voix a des sons
D’une limpidité si profonde et si tendre
Qu’on tarde d’obéir afin de mieux l’entendre.
Il s’est assis devant la fenêtre, et tandis
Que l’hôtesse va, vient, et, les yeux enhardis,
Juge qu’il appartient à la maison des Guise,
Tout rêveur il attend que son déjeuner cuise;
Et par delà les champs, où les troupeaux camus
Paissent, et le rideau des peupliers émus,
Ces hallebardiers verts qu’un léger souffle incline,
Il contemple devant une ombreuse colline
La Loire, fleuve d’or, miroir de volupté,
Flot pur, dont l’opulente et calme royauté
Passe, et sereinement roule en sa transparence
Tout le ciel à travers le jardin de la France.
Mais voici qu’au moment où l’hôtesse le sert,
Un galop retentit sur le chemin désert
Et brusquement s’arrête au seuil de l’aubergiste.

« Holà, garçon, holà! Par Hermès Trismégiste,
Que tu ne connais pas, méchant Béotien,
Prends mon cheval et puis veille à son entretien !
Pour moi, j’ai soif : plaisante hôtesse, soyez preste;
Et j’apprécierai fort le pâté, s’il en reste. »

Ce nouveau cavalier rit d’un beau rire franc
Il est moins martial que le premier, moins grand
Et garde sous l’épée une moins noble allure.
Mais la grâce est en lui : sa molle chevelure