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plus fermes dans son raisonnable propos, en un temps où l’erreur et la mobilité étaient fautes communes.


Il naquit en 1535, au pied des Pyrénées, sur les confins du Bigorre. Etait-il de souche gasconne ou béarnaise, sujet de France ou de ce petit roi de Béarn avec lequel il allait s’élever? On ne sait. Fils d’un maréchal-ferrant selon les uns, d’un opérateur selon les autres, en tout cas d’un compagnon ambulant qui mourut sur les routes sans laisser de quoi se faire enterrer, l’humilité de sa condition rendit vaines toutes les tentatives des biographes pour éclaircir ses origines. Elle fit longtemps obstacle à l’entrée de l’abbé d’Ossat dans le Sacré-Collège ; quand il reçut la pourpre, à la fin de sa vie, les contemporains s’en émerveillèrent : ils portèrent d’autant plus haut le mérite qui avait si fort grandi un homme parti de rien. Resté modeste, n’ayant jamais essayé de déguiser son mince état de naissance et de fortune, d’Ossat s’étonnait lui-même de son élévation; il écrivait au roi : « Je ne pense point que Votre Majesté ait aucun sujet ni serviteur qui lui soit si obligé que moi, qui, d’un petit ver de terre que j’étois, ai été élevé à la dignité de cardinal par votre seule bonté. «Vingt ans après la mort du prélat, Malherbe admirait encore qu’on eût admis « dans la plus auguste compagnie qui soit au monde... parmi des princes de Bourbon, d’Autriche, de Médicis... ce cardinal d’Ossat qui, tout excellent personnage qu’il était, avait une extraction si pauvre et si basse que jusqu’à cette heure elle est demeurée inconnue, quelque diligence qu’on ait apportée à la chercher. » — Nous manquerions singulièrement de justice envers l’Eglise, si nous ne lui reconnaissions au moins le mérite d’avoir ouvert la première ce grand chemin de fortune où notre société moderne appelle tous les talens. Pendant de longs siècles, alors que des barrières arrêtaient sur les autres routes l’essor des petits, elle fut la seule école d’égalité, l’unique espoir des ambitions légitimes mal servies par les hasards du berceau.

Aussi le jeune Arnaud voulut-il être d’Église. Touchés par ses heureuses dispositions, les chanoines de la collégiale de Castelnau lui avaient, dit-on, montré le latin; il fit profession à Auch, en 1556. Comme il argumentait fort pertinemment dans la cathédrale, un gentilhomme gascon, M. de Marca, le prit en affection, et lui donna mission d’accompagner deux siens neveux à l’Université de Paris; d’Ossat devait les entretenir de bonne nourriture et doctrine. Le pédagogue et ses disciples vinrent s’établir à la montagne Sainte-Geneviève : tel Ponocratès amenant son élève Gargantua au même lieu. Mais la ressemblance s’arrête là: nos Gascons ne firent pas chère lie comme le fils de Grandgousier;