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francs, dont près de six, fournis par la ville et la Chambre de commerce, ont été consacrés aux améliorations du port. — Dans le bras principal de la Seine, plus de 3500 mètres de quais en maçonnerie sont aujourd’hui immédiatement accostables, sans manœuvres, sans attente, sans portes à ouvrir ou à fermer. Au pied de ces quais, la profondeur d’eau, au moment le plus défavorable, est de 5 m, 80. Quelques dragages suffiraient pour la rendre plus grande encore. 66 appareils de levage apportent leur concours aux opérations. Sur 23050 mètres de voie ferrée, les wagons offrent leurs services aux commerçans pressés, tandis que, directement accostés aux flancs des navires, les bateaux de rivière, péniches et chalands, reçoivent les marchandises que le réseau de nos voies navigables leur permettra, en concurrence avec les chemins de fer, de porter, non seulement à Paris, l’insatiable consommateur, mais plus loin encore dans l’Est, à Nancy, à Strasbourg, à Lyon même. En 1891, 3021 navires, jaugeant ensemble plus de 1200000 tonnes, sont venus par la Seine mouiller à Rouen. Les marchandises qu’ils ont transportées, tant à la remonte qu’à la descente, pesaient près de 2 milliards de kilogrammes. Un partage d’attributions semble se devoir faire tout naturellement entre les deux ports : au Havre, les paquebots rapides, les puissans transatlantiques dont les minutes sont comptées, pressés d’arriver, pressés de partir, transportant voyageurs, lettres, valeurs, marchandises de prix ; à Rouen, le modeste cargo-boat ne sacrifiant pas l’ampleur de ses formes au désir d’aller vite, et propre surtout au transport économique des matières premières, marchandises d’une faible valeur unitaire, chargées en grande masse, et ne pouvant supporter qu’un fret peu élevé.

C’est dans ces conditions que les deux villes ont vécu et prospéré.

Cependant, depuis 1891, cette prospérité paraît stationnaire. Au Havre comme à Rouen, il semble que la roue de l’inconstante Fortune va cesser de tourner. Sans doute, on peut, on doit en accuser les tarifs de douane, hostiles à l’échange, qui entravent aujourd’hui l’activité productive du pays autant qu’ils restreignent sa faculté de consommer. Comme le disait Narbal à Télémaque, il faut que le prince, — et tout gouvernement est prince sur ce point, — n’entreprenne jamais de gêner le commerce pour le tourner selon ses vues ; autrement, il le découragera. C’est l’œuvre, cependant, qu’accomplissent aujourd’hui nos gouvernans. Mais en même temps que la liberté de commercer, le sage Tyrien recommande d’assurer aux navires qui abordent le port la sûreté et la commodité. Sûreté et commodité, on pouvait, il y a peu de temps encore, les rencontrer au Havre et aussi à