Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

baie de Seine. Au fond, dans la brusque cassure qui sépare les verdoyantes collines de Honfleur des falaises de Sainte-Adresse, apparaît tout à coup le vaste triangle de l’estuaire, s’ouvrant, chambre nuptiale grandiose, à l’union périodiquement consommée de la Seine avec le vieil Océan. Entre lui et les coteaux d’Ingouville s’étend la plaine basse, qui fut autrefois le marais de Lheure et qui porte aujourd’hui la grande ville dont le royal ami de Léonard de Vinci avait voulu faire le premier port de France.

Si quelqu’une des divinités qui commandent aux flots obligeait un jour la mer à s’éloigner pour un instant de la côte havraise, et à laisser voir le.mystère de ses profondeurs, on apercevrait, disposés suivant une direction qui semble la continuation de la Pointe de la Hève, une série de hauts-fonds isolés qui, entre eux et la côte, circonscrivent, en la protégeant contre l’assaut des tempêtes du largo, la petite rade au fond de laquelle s’ouvre le chenal d’entrée du Havre. Ce sont les Hauts de la rade, sur lesquels, aux heures des basses mers, on ne trouve plus que quelques pieds d’eau. C’est par les passes ou intervalles qui séparent les Hauts que les navires peuvent pénétrer dans la petite rade ou en sortir. Mais toutes ne sont pas également fréquentées. Le chenal d’entrée du port a encore aujourd’hui l’orientation vers le Sud-Ouest que lui donnèrent le sire du Chaillou et ses expéditifs entrepreneurs. Chercher alors les passes du Nord, soit qu’on arrive, soit qu’on parte, obligerait les navires à faire dans la petite rade une sorte de marche de flanc qui les exposerait à être drossés sur le rivage de Sainte-Adresse par les vents d’Ouest et les lames du large. De petits bateaux peuvent peut-être s’y exposer par beau temps. Les grands navires, les paquebots transatlantiques en particulier, ne pourraient en courir le risque. Ils viennent plus bas chercher celle de ces passes qui est la continuation la moins indirecte du chenal d’entrée : c’est la passe du Sud-Ouest. Longeant le banc appelé, — à cause du peu d’eau qui le recouvre à mer basse, — le Haut de Quarante[1], la passe du Sud-Ouest aboutit sans détours entre les deux jetées. La manœuvre, pour prendre cette direction, est relativement facile et s’exécute, en tous cas, assez loin des côtes pour être sans danger. Mais tout n’est pas avantage. Sur cette route, pour laquelle l’estuaire est — nous le verrons, — un voisin devenu dangereux, les navires d’aujourd’hui ne peuvent circuler que quelques heures chaque jour au moment des hautes marées. Elle est tracée, en effet, au-dessus d’un plateau sous-marin de 2000 mètres environ d’étendue, sur lequel on ne trouve que des

  1. Quarante pouces.