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écoliers malades… Ces jours-ci, il est fort occupé… Mon filleul est prêt pour le baptême, mais d’autres catéchumènes paraissaient récemment plus gravement atteints qui sont maintenant complètement guéris.

— En cas d’urgence, me dit le prêtre, vous pourrez baptiser votre protégé vous-même.

Et il me rappelle les paroles rituelles.

— Ça va mieux, monsieur, beaucoup mieux… proteste l’enfant avec gentillesse. — Il ne se permettrait pas de se plaindre devant moi et prend avec une obéissance parfaite les remèdes… bien sûr il les croit un peu fétiches, toutes ces drogues qu’apporte le soldat blond, l’Alsacien aux yeux bleus de gnome.

Ce docteur Arm nous dit qu’il faut distraire les malades… Voici le pantin, le pantin habillé de soie bleue… l’être difforme s’agite, son visage de carton grimace imperturbablement ; efforts inutiles, Boutou ne rit plus…

Depuis plus de dix jours, la fièvre n’a pas cédé : « Je veux me lever, aller à la messe, à l’école. » L’enfant se redresse, debout sur son lit, et, les bras tendus vers la fenêtre, veut sauter à terre. Le 2 septembre, au soir, un frisson violent le secoue tout entier. Il crie : « J’ai froid, j’ai froid », se plaint vivement du ventre… Jean me tire par la manche et me fait songer au baptême. Trois gouttes d’eau, ces paroles récitées… Mon sacerdoce me parut si étrange, je fus si troublé devant ce petit corps douloureux que j’oubliai de nommer l’âme… ce nom vazaha, tant souhaité, j’omis de le donner à Boutou…

……………….

Le surlendemain, vers 3 heures du matin, j’entendis du bruit dans la chambre. Je me levai. L’enfant gémissait, timidement, par intervalles, il éprouvait une soif ardente. Jean, dans le corridor, allumait une lampe pour préparer un breuvage ; le grand Rainizafy se tenait debout près du lit, ne sachant que faire.

Je pris la main du mourant ; le pouls ne battait plus… Lui, m’abandonnait cette main, mais dédaignait mon assistance, et, les yeux fixés sur son père, ce fut en malgache qu’il parla :

Babeo aho, babeo aho[1].

Il demandait qu’on le suspendît, comme autrefois, dans le lamba de ses parens pour le réchauffer doucement à la tiédeur du corps.

Déjà Rainizafy, devenu attentif et tendre comme une femme, se drapait, s’empressait, pliait l’échine, offrait la poche de son lamba… Mais aux lèvres et aux narines de l’enfant parut une mousse verdâtre… il voulut se soulever… retomba sans mouvement, et sur

  1. Prends-moi sur ton dos.