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reposoir illuminé, je quitte Ambouhipou et rentre en ville.

Boutou trotte derrière moi… Du plus loin qu’il aperçoit mon filanzane et mes porteurs, il court à son vazaha comme un soldat se porte au feu.

— J’ai vu Monseigneur, sous le grand parasol blanc… Il y avait beaucoup de Pères autour, et tous s’étaient couverts d’or en l’honneur de Jesou-Christi… Moi, je ne sais pas encore les cantiques, je les écoute pour les apprendre, et, dans la prière qui marche, je pense que je suis comme le roi d’Afrique dont inculpera Bauzac m’a raconté l’histoire…

— Quel roi d’Afrique ?

— Celui qui a traversé le désert avec ses bœufs et ses esclaves pour suivre l’Étoile et trouver Jesou-Christi enfant. Bethléem est de l’autre côté, Jesou-Christi était vazaha

J’avais déjà plus d’une fois entendu formuler à Madagascar cette remarque qui semble pénible à l’amour-propre des indigènes… cependant Boutou en atténuait l’amertume par une phrase apprise à l’école :

— … Il était vazaha, mais il a aimé tous les hommes, les noirs comme les blancs…

— Bravo ! tu ne perds pas ton temps au catéchisme. Quelle était donc cette oriflamme que tu portais si fièrement ?

— C’est l’image de saint Jean, le frère de Jesou-Christi. Jean baptisait dans la rivière ceux qui venaient à lui… Moi aussi je désire être baptisé. Vous serez mon parrain et me donnerez un nom nouveau, un nom vazaha… Je voudrais m’appeler comme un de ces saints qui allaient à la mort pour dire la bonne parole de Jesou-Christi. Ils n’avaient pas peur. Les Malgaches ne sont pas si courageux…

Et l’enfant citait le vieux proverbe de son pays : « Mamy ny aina : la vie est sucrée. »

Mais une autre de ses récentes impressions lui revenait en tête et s’échappait dans son discours ; c’était l’inconduite de son camarade Samson : — Croiriez-vous qu’il s’est caché derrière un arbre pour regarder passer les petites filles de Ma Sœur ? Je crains qu’il ne soit jamais chrétien…


IV

Non seulement Boutou savait assez de catéchisme pour étonner les vieux devins et les vendeurs d’amulettes, condamner les sorciers-empoisonneurs, confondre jusque dans le village sacré d’Ambouhimangue les grands prêtres de l’idole Rafantaka, mais en peu de semaines il avait appris à lire, et, le jour du marché,